Les Echos : quel prix pour l’indépendance ?
C’est en effet exceptionnel de voir la presque totalité du personnel d’une entreprise s’opposer avec une telle force à son futur propriétaire. Cela rappelle que les journaux ne sont pas tout à fait des produits comme les autres. L’enjeu, ce n’est pas la santé financière du 1er quotidien économique français, elle est très bonne – ce qui est rare dans la presse en ce moment – 120 000 exemplaires chaque jour, 10 millions d’euros de bénéfice. Non l’enjeu, c’est l’indépendance. Une indépendance jusque là assurée par le groupe britannique Pearson, propriétaire entre autre du Financial Times. Pearson veut recentrer ses activités et s’est engagé avant l’été dans des négociations exclusives avec Bernard Arnault, qui a mis sur la table un chèque de 240 millions d’euros. Seulement voilà : LVMH, acteur majeur du luxe, de la distribution, de la finance, décline une avalanche de marques : de Vuitton à Moët et Chandon en passant par des enseignes comme Séphora, La Samaritaine ou Le Bon Marché. A lui seul, le groupe et ses filiales ont été cité 124 fois dans les colonnes des Echos au cours du 1er semestre, pas loin d’une fois par jour. D’où un risque de conflit d’intérêt permanent. Malgré les garanties réelles – mais jugées tardives – promises sur l’indépendance éditoriale, la rédaction estime qu’elle ne pourra plus traiter de ces entreprises en toute neutralité, ni d’ailleurs des concurrents, si l’on songe à la bataille de toujours qui oppose le patron de LVMH à son rival François Pinault.
Est-ce que cette affaire ne constitue pas un épisode de plus dans la crise de la presse française ?
C’est vrai : la presse française, ne parvient pas à créer des poids lourds dédiée à l’édition et aux médias, indépendant de tout autre intérêt économique, comme aux Etats-Unis avec Time-Warner ou en Allemagne avec Bertelsmann. C’est sa grande faiblesse. Les premiers acteurs de la presse écrite et audiovisuelle sont des industriels : Lagardère, Bouygues, Dassault ou maintenant Bolloré. Ca n’empêche pas les rédactions de faire leur travail librement car les actionnaires ont conscience que la valeur d’un média auprès du public repose sur une information impartiale. Mais cette situation créée du soupçon quand l’un de ses groupes se retrouve au cœur de l’actualité. Il devient alors difficile de maintenir une muraille de Chine entre les intérêts stratégique du propriétaire et les devoirs de l’éditeur. Cette difficulté est beaucoup plus lourde dans la presse économique, dont la vie des entreprises est le cœur d’activité. Un journal comme Les Echos doit son succès à sa crédibilité dans le monde des affaires. C’est cette crédibilité qui est aujourd’hui en question.
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