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Covid-19 : des Français contaminés bien avant les premiers cas officiels témoignent pour la première fois

Ils étaient porteurs du virus dès novembre 2019 sans le savoir. Treize Français ont été testés positifs a posteriori par des chercheurs de l’Inserm. Ils ont trouvé des anticorps dans des prélèvements sanguins effectués dès novembre 2019. Témoignages exclusifs de ces nouveaux patients zéro recueillis par la cellule investigation de Radio France.

Article rédigé par franceinfo - Laetitia Cherel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 13min
Des patients contaminés dès novembre 2019 par le SARS-COV-2 s'expriment pour la première fois. (LAETITIA CHEREL / RADIOFRANCE)

Ils n’en reviennent toujours pas. Quand on leur a fait un prélèvement de sang en novembre et décembre 2019, ils étaient loin de se douter qu’ils étaient porteurs du SARS-CoV-2, et qu’ils deviendraient les premiers Français contaminés bien avant le déclenchement de l’épidémie. C’est en effet près d’un an plus tard, en septembre 2020, qu’ils ont appris qu’ils avaient été infectés. Le professeur Fabrice Carrat, directeur de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm, Sorbonne Université), a eu l’idée d’analyser 9 000 échantillons de sang prélevés sur des participants de la cohorte Constances*. "Depuis 2018, on propose à des volontaires de participer à la mise en place d’une biobanque, explique Marie Zins, la directrice scientifique de ce projet. Ils acceptent que des échantillons de leur sang et de leurs urines soient congelés dans des grandes cuves d’azote pour des recherches ultérieures. Avec le professeur Carrat, nous nous sommes dit que ce serait intéressant de retrouver des traces du virus, c’est-à-dire la présence d’anticorps entre le mois de novembre 2019 et le mois de mars 2020."

Une forte toux après un voyage au Canada

Les 9 000 échantillons de sang des participants ont donc été testés, ce qui a permis d’identifier 176 cas positifs. Un second test, réputé fiable et plus spécifique, a ensuite permis d’éliminer les faux positifs pour n’en retenir plus que treize, dont une dizaine qui avaient été prélevés en novembre et décembre 2019 (voir ici le rapport de l’étude publiée le 6 février 2021). Puis, les personnes ont répondu à des questionnaires qui ont permis d’en savoir plus sur les circonstances de leur infection.

Parmi ces "vrais" positifs, se trouve un trentenaire qui vit à Paris, dont la prise de sang analysée remonte au 29 novembre 2019. Lorsqu’il apprend a posteriori sa positivité par un courrier de l’Inserm en septembre 2020, il n’en croit pas ses yeux, comme il le raconte à la cellule investigation de Radio France : "Je savais que mon colocataire avait séjourné quatre jours à Montréal au Canada début novembre. Une semaine après, il a commencé à avoir de très fortes quintes de toux. Ce qui était très frappant c’est que j’ai eu la même chose que lui, vers le 8 ou le 10 novembre, une semaine avant le prélèvement de sang que j’ai fait pour la cohorte Constances." Le jeune homme a des quintes de toux très fortes.

"C’était une toux très sèche et très longue, qui durait 20 à 30 secondes. J‘avais l’impression de cracher mes poumons, à tel point que je me suis dit que j’irai voir un médecin."

Un parisien, testé positif au Covid-19 en novembre 2019

à franceinfo

Mais au bout de quelques jours, les symptômes sont passés. Il ne s’est pas posé plus de questions.

Extrait de la lettre envoyée par Constances à un patient dont le prélèvement sanguin effectué en décembre 2019 s’est avéré positif au SARS-CoV-2 après des analyses de septembre 2020. (DOCUMENT CELLULE INVESTIGATION DE RADIO FRANCE)

Un voyage en Chine, mais pas à Wuhan

Un autre homme, âgé de 40 ans, que nous avons rencontré chez lui dans le sud-ouest de la France a, lui, passé près de deux mois en Chine avec son épouse. Lorsqu’il a appris qu’il avait été porteur du virus du Covid-19 début décembre 2019, il a fait le lien avec le périple qu’il avait effectué du 17 octobre au 9 décembre. "On est arrivés à Pékin, explique-t-il. Puis on est descendus dans le sud, plutôt côté ouest, côté Tibet. On est remontés dans le centre de la Chine, puis on est redescendus du côté de Canton, Macao et puis Hong Kong. Et ensuite, nous sommes rentrés en France." Mais le couple n’a pas fait d’escale dans la capitale du Hubei : "À aucun moment, nous ne sommes allés à Wuhan. Au plus près, nous étions à environ à 400 km" [voir leur parcours ci-dessous].

Huit jours après avoir atterri sur le sol français, le voyageur fait un prélèvement de sang – celui qui sera analysé et testé positif neuf mois plus tard. Impossible de savoir précisément où il a été contaminé. Mais pour le professeur Carrat, il ne fait guère de doute que c’est en Chine qu’il a contracté le virus, et donc ailleurs qu’à Wuhan où il n’est pas allé, à une période où l’épidémie n’avait pas démarré : "On ne peut pas garantir qu’il ne se soit pas infecté après son arrivée sur le territoire français le 9 décembre. Mais il faut environ 12 à 15 jours pour qu’un individu développe une réponse d’anticorps détectable avec nos méthodes. Cela voudrait dire que sa montée d’anticorps aurait été beaucoup plus rapide que celle des autres personnes qui s’infectent. C’est peu probable. Il est donc beaucoup plus probable qu’il ait été infecté en Asie en novembre, et même au mois d’octobre."

Le voyageur n’a pas le souvenir qu’ils aient eu, lui et son épouse, des signes de maladie durant le voyage, ni après : "On n'a pas eu de fièvre ni de toux, et on n’a jamais eu besoin de modifier notre planning pour des questions de santé."

Des symptômes typiques de la Covid-19 bien avant l’épidémie

Plusieurs personnes, en revanche, ont présenté des symptômes caractéristiques du Covid-19. Une jeune femme de 32 ans qui vit en Bretagne se souvient de plusieurs signes troublants qu’elle avait ressentis à l’époque, et qu'elle n’avait pas su expliquer. "J’avais comme des symptômes de sinusite mais avec une fatigue exceptionnelle au moindre effort, en montant les escaliers par exemple. Ça a duré plusieurs jours." Son mari, lui, toussait beaucoup, "de manière tellement intense que ça l’empêchait de dormir", poursuit-elle. Elle a aussi eu des difficultés à effectuer un test de mesure de son souffle, lors du bilan qu’elle passe alors pour la cohorte Constances le 18 novembre 2019 : "J’étais vraiment essoufflée et je n’arrivais pas à réussir ce test. L’infirmière m’a dit : 'Vous êtes jeune, c’est bizarre !'"

Aujourd’hui, la jeune femme pense qu’elle a été contaminée à l’hôpital où elle s’est rendue plusieurs fois par semaine au cours du mois d’octobre pour soigner une fracture de l’avant-bras qui s’était aggravée. Une autre jeune femme a présenté un symptôme caractéristique du SARS-CoV-2. "Elle a perdu le goût et l’odorat, explique le professeur Carrat de l’Inserm. Elle avait été en contact avec un membre de sa famille qui avait souffert d’une pneumonie d’origine inconnue entre octobre et décembre, et elle s’était rendue en Espagne en novembre."

Positifs mais asymptomatiques

D’autres personnes n'ont présenté, en revanche, aucun symptôme. Pascale, la quarantaine, que nous avons interviewée chez elle à Villeurbanne (Rhône), a été testée positive sur des prélèvements de sang qui datent de novembre 2019. D’où sa surprise lorsqu’elle a reçu les résultats par un courrier de la cohorte Constances en septembre 2020. "J'ai essayé de me souvenir si je n’avais pas eu le nez qui avait coulé à l’époque, de la toux ou des maux de tête. Mais non, vraiment, je n’ai eu aucun symptôme." Elle n’avait pas voyagé à l’étranger, et elle a donc cherché à savoir si elle avait été en contact avec des personnes ayant présenté des symptômes inexpliqués.

"J’ai interrogé mon entourage, les gens avec qui j’avais passé une soirée d’anniversaire. Je leur ai demandé si elles avaient été positives. Absolument pas."

Pascale, testée positive au Covid-19 en novembre 2019

à franceinfo

Une femme médecin basée à Lyon et testée positive mi-janvier 2020, nous dit ne pas se souvenir non plus avoir été malade. Elle pense avoir été contaminée par plusieurs patients souffrant de sinusites et de bronchites qui s’étaient prolongées anormalement.

À Angoulême, un homme testé positif mi-novembre 2019 et également asymptomatique, évoque des emballages de produits venant de Chine qu’il a manipulés à l’époque à son travail, sans que l’on puisse établir un lien avéré avec sa contamination.

Les 9 000 échantillons de sang des participants de la cohorte Constances ont été testés, ce qui a permis d’identifier 176 cas positifs, dont une dizaine qui avaient été prélevés en novembre et décembre 2019. (NICOLAS DEWIT / RADIOFRANCE)

Des témoignages qui rebattent les cartes

Ces témoignages appellent plusieurs questions :

1 - Le virus circulait-il en Chine ailleurs qu’à Wuhan avant le début de l’épidémie ? C’est possible, puisque le voyageur français qui a été contaminé dans ce pays ne s’est pas rendu à Wuhan. Il peut cependant avoir été contaminé, par exemple, par une personne qui, elle, venait bien de Wuhan. Néanmoins, le professeur Carrat de l’Inserm "ne pense pas que tout soit né à Wuhan."

"Ce qui est né à Wuhan, c’est le virus qu’on connaît en France et qui a donné cette pandémie. Ça ne veut pas dire que le virus n’était pas là avant. Il circulait."

Professeur Carrat (Inserm)

à franceinfo

2 - Si le virus était présent dans d’autres régions en octobre ou novembre 2019, comment expliquer que l’épidémie ait démarré à Wuhan ? Fabrice Carrat émet l'hypothèse que si le virus circulait dans d’autres endroits en Chine, c’est bien à Wuhan qu’il aurait muté pour devenir plus contagieux : "Le virus qui a infecté le couple de voyageurs français en Chine était peut-être un variant qui se transmettait moins bien que celui qui est arrivé le 8 décembre à Wuhan. Et surtout, c’est sans doute un variant qui donnait un peu moins de formes graves", explique-t-il. Mais pour le professeur, il s’agissait bien du même virus : "Ce n’était pas un coronavirus saisonnier comme ceux qu’on a l’habitude de détecter dans les épidémies hivernales. C’était vraiment le SARS-CoV-2, mais c’était peut-être un variant précurseur à celui qui a donné l’épidémie mondiale."

3 - Si le virus est arrivé dès le mois de novembre ou d’octobre, pourquoi l’épidémie n’a-t-elle pas démarré plus tôt ? Pour Florence Débarre, qui fait de la modélisation en biologie évolutive au CNRS, les cas n’étaient peut-être pas suffisamment nombreux pour faire démarrer une épidémie. "Si les cas révélés par les travaux du professeur Carrat sont de vrais positifs, il est possible qu’il y ait eu quelques cas, mais que cela se soit arrêté par l’effet du hasard. On a dit qu’une personne en affecte trois en moyenne. Mais c’est une moyenne. Certaines n’infectent personne, alors que d’autres en infectent beaucoup. Donc la probabilité qu’un premier cas donne naissance à une épidémie est relativement faible."

4 - Enfin, si le virus circulait en France plusieurs mois avant le début de la pandémie, est-il possible que ce virus ne soit pas venu de Chine ? "L'hypothèse la plus probable est que le berceau de la naissance du SARS-CoV-2 soit bien la Chine, explique le professeur Jean-Claude Desenclos, épidémiologiste et ancien directeur scientifique à Santé publique France. L’ancêtre du SARS-CoV-2 le plus proche a déjà été identifié en 2013 en Chine. Donc, tout cela fait un faisceau d’arguments qui rend cette hypothèse la plus vraisemblable."

*La cohorte Constances est la plus grande cohorte épidémiologique suivie actuellement en France avec 220 000 individus suivis sur le long terme. Elle a été lancée en 2012 et financée par le programme d’investissements d’avenir de l’État. L’objectif est de comprendre quels sont les facteurs qui augmentent les risques de maladie des participants – tous volontaires – comme l’environnement ou le travail.

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