Une société de compétition ? Pour Jean Viard, "Il faut articuler coopération, effort et réussite, la question du sens et des opportunités à saisir est centrale"

Notre société ne vit-elle que dans la compétition ? C'est la question que l'on pose aujourd'hui, jour du marathon de Paris, au sociologue Jean Viard.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
En ce jour du 47e marathon de Paris, le sociologue Jean Viard décrypte les notions de compétition, de réussite, de dépassement et d'exploit, à l'oeuvre dans nos sociétés. (YOAN VALAT / MAXPPP)

En ce jour de marathon de Paris, synonyme d'exploits, de dépassement pour des milliers de coureurs, on se demande si notre société ne vit pas qu'à travers la compétition. C'est vrai qu'aujourd'hui on a tendance à faire des classements de tout. Dès qu'on a couru 10 kilomètres, on va faire un selfie sur les réseaux sociaux. La concurrence et la compétition, débutent finalement dès l'école, puis au lycée, et dans le monde de l'entreprise.

franceinfo : Est-ce qu'on peut échapper à cet état de compétition ? 

Jean Viard : Alors ça dépend de ce qu'on apprend aux enfants, dès l'école. Est-ce qu'ils sont tous rangés face aux professeurs, classés toute la journée ? Il y a des endroits où on ne classe plus les enfants par exemple. Est-ce que le but d'un enfant, c'est qu'il soit premier de la classe ? On s'est toujours un peu moqué des premiers de classe, ce qui est idiot en même temps, parce que ce sont ceux qui travaillent très bien.

Au fond, c'est dès l'enfance, est-ce qu'on apprend aux enfants à travailler en commun, à remettre des devoirs qu'ils font à trois ou quatre, ils le signent à trois ou quatre. Tous ces éléments-là, c'est important. Certaines écoles, comme les écoles Decroly par exemple, travaillent énormément sur la coopération entre les enfants. Après, il y a une question d'effort, c’est-à-dire qu'effectivement, apprendre, se développer physiquement, ça nécessite un effort, ça nécessite de l'entraînement. Mais c'est vrai pour danser, courir, faire du cheval ou des mathématiques. Donc il y a cette notion d'effort, et elle est importante, parce que le désir d'apprendre, il est discontinu.

On voit des enfants qui sont passionnés par une matière, pas par une autre. Comment on gère cette question ? Donc l'effort existe, La réussite, ce n'est pas honteux de dire que réussir ce n'est pas négatif. Être un bon journaliste, un bon maçon, un bon chauffeur de bus, je veux dire être fier de ce qu'on fait. Chaque métier a sa fierté. Donc il faut dire ça, et se dire qu'effectivement, il faut articuler coopération, effort et réussite. Et puis dire une chose : on n'est pas tous pareils. C'est comme en sport, il y en a qui courent plus vite, d'autres qui sont plus dodus, d'autres encore qui ne savent pas grimper à la corde. Je veux dire, ce n'est pas dramatique, donc on ne peut pas être premier partout.

Mais il y a une différence quand même entre l'envie de se dépasser, l'envie d'être le premier, le meilleur ?

Oui, mais c'est en partie vis-à-vis de soi-même. Regardez dans les entreprises, longtemps, on pensait que ce qui était important, c'est d'avoir le plus gros chiffre d'affaires, puis après on s'est rendu compte que c'était idiot. Ce qui compte, c'est d'avoir le meilleur résultat. Et aujourd'hui, une entreprise, ça tient par la qualité du groupe dirigeant, et par la qualité du lien social. C'est pour ça qu'il n'y a presque plus de conflits dans les entreprises, parce qu'on a compris que la question centrale, c'est le fait qu'on soit tous sur le même projet, qu'on se parle, que les conditions économiques soient correctes pour les uns et pour les autres. Et on le sent très bien dans le milieu économique, parce que dans un monde aussi imprévisible, on ne sait pas comment on sera dans cinq ans.

Aucune boîte ne sait exactement. Voiture électrique, pas voiture électrique, baisse du vélo, est-ce qu'on habitera en ville...on ne sait pas. Donc, c'est la qualité, le corps culturel de l'entreprise, et le fait qu'elle se donne un sens, une direction, et qu'on puisse être fier d'y travailler. Moi, je tiens beaucoup à la fierté. C'est un élément important, mais pas qu’individuel. Si votre boîte, elle fait du bon boulot d'un point de vue écolo aussi, etc.,vous dites, je travaille là, vous êtes fier. Il y a d'autres boîtes, je pense que vous êtes moins fier, même si vous êtes bien payé.

C'est plus le sens ?

C'est la question du sens qui est centrale, il faut mettre en avant le sens. Mais je ne crois pas qu'il faille faire interdire l'exploit. Il faut aussi des gens qui se détachent, certains travaillent plus, qui vont plus vite.

La question c'est : comment on offre une opportunité aux gens de connaître des choses différentes. C'est à ça que je suis très attentif. Et ce qui est très important dans la vie, c'est de saisir les opportunités. Il y a des gens, ils ne voient jamais les opportunités qui passent à côté d'eux. C'est aussi vrai d'ailleurs en amour, en boulot, en politique, etc. Et puis d'autres ont les yeux ouverts sur tout ce qu'il y a autour d'eux. Et cette question de l'éveil, de l'attention, et de la capacité à être surpris, c'est aussi un élément essentiel de la réussite.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.