Une adresse pour chaque maison : "Les imaginaires de l'espace rural disparaissent, c'est triste symboliquement, mais c'est une bonne nouvelle technologiquement" selon Jean Viard
Dès aujourd'hui, samedi 1er juin, toutes les communes de moins de 2000 habitants doivent avoir donné un nom à toutes les voies publiques, donc à celles qui n'en avaient pas jusqu'à maintenant. Toutes les maisons devront aussi disposer d'un numéro. C'est le fruit d'une loi votée il y a deux ans, et qui commence donc à s'appliquer. Cette mesure doit permettre de faciliter le travail des livreurs, des facteurs ou encore des secours.
franceinfo : Qu'on puisse utiliser son GPS tout simplement pour trouver un lieu, on peut se dire qu'il était temps quand même ?
Jean Viard : Oui, on peut dire ça, mais en même temps, à la campagne, moi qui y vis, je fais partie des 1.800.000 Français qui vont justement avoir une adresse. Maintenant, j'en ai une, ils ont trouvé un vieux chemin qui allait chez moi. En même temps, c'est une autre vision du territoire. Parce qu'en gros, les facteurs, c'étaient des gens du village, du pays, c'est comme ça qu'on les recrutait.
Le grand enjeu, quand on était facteur, ou quand on était à la caisse derrière à la poste, c'était d'arriver à revenir dans son village. Souvent, ça prenait un certain temps, donc ils connaissaient le territoire, ils connaissaient les gens. Ils savaient qu'après les volets verts, il y avait Madame Michu qui avait trois chiens. C'était ça, c'était cette relation-là. Et au pire, on s'adressait la parole : "Bonjour, tu sais où ils habitent"?
Là, c'est en train de disparaître, personne ne me demande plus rien. Pourquoi on a fait ça ? Parce qu'on est entré dans la civilisation de la livraison, et justement, pas par des gens du coin. Je dirais que c'est la nouvelle société de consommation, qui d'ailleurs s'est accentuée après le covid, qui oblige à cette nouvelle politique, avec tout le débat, est-ce qu'on met du métrique, c'est-à-dire en gros le 612, ce qui veut dire que vous êtes à 600 mètres de l'Hôtel de Ville etc.
Où on met le début de la rue...
Les Américains font ça depuis très longtemps, ce qui, en plus, te permet de savoir si tu vas y aller à pied ou pas. Si c'est marqué 8214, tu sais que tu dois prendre un autre moyen de transport. Donc ça, c'est fondamental. Et la deuxième chose, c'est la sécurité. C'est vrai qu'on est dans une société de sécurité, Donc si tu appelles les pompiers, si tu as une crise cardiaque, s’il y a le feu, c'est sûr que plus ils ont l'adresse exacte, plus vite ils sont sur l'objectif. Mais le fond du débat, c'est quand même la société de la livraison qui est une triste nouvelle d'un point de vue symbolique, et c'est une très bonne nouvelle d'un point de vue technologique.
Il y a encore beaucoup de communes qui n'ont pas encore changé les adresses ou qui ne vont pas le faire dans les mois prochains, elles ont du retard. Il y en a à peu près 20.000 sur les 35.000 communes en France, à ce jour, selon l'Agence nationale de la cohésion des territoires. Et dans ce cas-là d'ailleurs, s'il y a un problème avec les pompiers, avec les forces de secours qui n'avaient pas d'adresse, on pourra se retourner contre le maire de la commune.
Mais ce que révèlent aussi les chiffres, c'est qu'il y a 1 million de bâtiments qui, jusqu'à maintenant, n'avaient pas d'adresse valide, en théorie, ça paraît énorme ?
Mais non, ma maison est très typique de ça, par exemple, chez nous ça s'appelait le Revest, c’est-à-dire tout ce qui est de l'autre côté du château, c'était immense, il y avait des kilomètres, les noms étaient désignés dans l'espace. Donc on disait le Revest, ça signifiait le revers du château. On n'avait pas du tout les mêmes usages du territoire, et c'est ça que je pointais.
Mais en même temps, c'est une urbanisation aussi, c'est une pensée urbaine quelque part. Moi j'avais travaillé dans les années 70 sur les plans d'occupation des sols. C'était très compliqué, parce qu'il fallait que les gens se représentent sur une carte, où ils habitaient. Donc là, on est dans des imaginaires de l'espace, et c'est un imaginaire urbain qui pénètre la campagne, parce que la société moderne est une société urbaine, et qu'on doit y rentrer. Mais c'est vrai que ça perd une partie de son charme.
Et c'est vrai que ça pose plein de questions pour les petites communes parce que ça coûte cher aussi ?
Absolument, il a une question d'argent, parce qu'il y a des panneaux, ça peut coûter 30 ou 40.000 euros dans des petites mairies et après, il y a un autre débat, c'est : est-ce qu'on supprime les anciennes appellations ? Parce qu'avant il y avait les noms de hameaux par exemple, qui sont en voie de disparition. Il y a un maire qui a dû démissionner parce qu'il avait enlevé tous les panneaux des hameaux pour ne mettre que des trucs modernes, et les gens ont hurlé. Et donc il a démissionné devant la révolte des populations.
Et maintenant il faut créer des noms de rues, puisqu'il y a des adresses à créer, des noms de route. Comment est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'un bon nom de rue, Jean Viard ?
Je ne sais pas, moi, là où j'habite, ils ont donné des noms anciens. On peut leur donner des sens symboliques. On aurait pu décider, par exemple, qu'un nom sur deux, ça sera un nom d'une dame. Actuellement, si vous regardez nos villes, ce ne sont presque que des noms de messieurs, y compris beaucoup de guerriers, dont certains ont eu des œuvres militaires très discutables. On aurait pu décider que 50% des noms de rues sont des noms de femmes.
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