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"Un référendum, dans une société extrêmement numérique, avec tous ces phénomènes de complotisme, ça devient de plus en plus difficile", estime Jean Viard

Les Français et le référendum, : il y en a eu neuf sous la Cinqième République. Les opposants à la réforme des retraites souhaiteraient un référendum pour sortir de l'impasse politique actuelle à l'Assemblée nationale.
Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
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Publié Mis à jour
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Le Palais Bourbon, siège de l'Assemblée nationale à Paris. "On est dans une crise extrêmement profonde du modèle démocratique. Un référendum, ce sont des enjeux complexes, avec des millions de gens qui sont concernés. Comment vous voulez retrouver un modèle démocratique quand on n'est même pas d'accord sur l'état des lieux ?" souligne Jean Viard. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Le sociologue Jean Viard se penche aujourd'hui sur la question du référendum. Les Français et le référendum : est-ce l'histoire d'un désamour, d'une incompréhension ? Il y a eu neuf référendums en France sous la Cinquième République, aucun depuis 2005. Mais à l'Assemblée nationale, en ce moment, les opposants à la réforme des retraites – la Nupes et le Rassemblement national en tête – souhaitent qu'on en arrive là, pour trancher. Une motion en ce sens va être examinée ce lundi 6 février, demain.

franceinfo : Jean Viard, est-ce que plus de référendum, ça ferait du bien, quel que soit le contexte, à notre démocratie ? 

Jean Viard : Ce qui est sûr, c'est qu'on est dans une crise extrêmement profonde du modèle démocratique. Je crois que ça, tout le monde le sent. Il y a eu les Gilets jaunes, la revendication du référendum d'initiative citoyenne, le RIC, qui a été effectivement très revendiqué sur les ronds-points. En même temps, à l'inverse, regardez ce qui s'est passé avec le Brexit en Angleterre : sur des bases assez fausses, manipulées par des élites politiques, ils ont voté la sortie de l'Europe, et maintenant, ils seraient très majoritairement pour y rentrer.

Donc, c'est extrêmement compliqué, parce que un sondage, c'est un sondage d'opinion. Le téléphone sonne. Allô ? Bonjour madame. Qu'est-ce que vous pensez de la guerre en Ukraine ? C'est une opinion à l'instant T, à chaud. Vous répondez directement au téléphone. Ce n'est pas tout à fait ça la décision publique. Ce sont des enjeux complexes, avec des sommes énormes, des millions de gens qui sont concernés.

Au fond, comment on arrive à avoir une meilleure intelligence collective ? Eh bien, je vais vous dire, je ne sais pas. Moi, ce qui me consterne en ce moment, c'est qu'on dirait qu'on n'arrive pas au moins à être d'accord. Comment vous voulez retrouver un modèle démocratique quand on n'est même pas d'accord sur l'état des lieux ? Après, on peut faire des choix différents.

Donc le référendum là-dedans, c'est un outil extraordinaire parce qu'on donne directement la parole au peuple. Mais ça nécessite un énorme travail de réflexion sur les dossiers, ce que font bien les conventions citoyennes. Parce que dans les conventions citoyennes – ça m'est arrivé d'y aller – on passe des jours avec les gens qui sont là, qui rencontrent des experts qui leur expliquent tel dossier, tel autre, et cetera, on fait de la  formation intensive sur le sujet.

Et puis ensuite, il y a une réponse, une réaction des gens, avec leurs diversités de générations, d'origines, de métiers, face à la formation qu'on leur a donnée, c'est-à-dire, on réagit à une information extrêmement construite. En fait, c'est ça la démocratie, c'est l'information construite. Le citoyen réagit. Comment on peut arriver à ça ? En ce moment, franchement, je ne sais pas. 

Se pose ensuite avec ces conventions citoyennes, la question de la transcription politique dans le texte de loi, et des conclusions modifiées ou pas. Et pour le référendum, on a l'impression que les élites politiques n'ont plus envie de soumettre des sujets à référendum. Pour le dernier, en 2005 sur le traité européen, le choix final des Français n'a pas été respecté. Donc, il y a une forme de défiance ? 

Mais ce n'est pas seulement une question de défiance, ce que je veux dire, on est dans une société extrêmement numérique, il y a des phénomènes de complotisme, il y a des phénomènes d'intoxication, il y a la perte du sentiment de vérité. Comment on fait dans cette société-là pour avoir un citoyen honnêtement informé. C'est ça qui est extrêmement compliqué. C'est pour ça que la question du référendum, dans une société comme la nôtre, où il y a tous ces réseaux sociaux, tous ces phénomènes de complotisme, ça devient de plus en plus difficile, et si on regarde bien autour de nous, il n'y a pas de société qui le trouve vraiment.

Que pensez-vous de la Suisse, par exemple, où régulièrement, plusieurs fois dans l'année, il y a des votations, on demande aux Suisses de trancher sur tel ou tel sujet ?

Oui, mais je pense que c'est très intéressant le modèle suisse, mais c'est une situation différente. C'est un petit pays, extrêmement aisé, avec une logique locale extrêmement forte, et cetera. Mais, ce qui se passe ensuite pourrait déjà très bien se passer au niveau des régions. En France, on est sur des enjeux différents, en Bretagne, en Provence, et cetera, qui peuvent être des choix d'aménagement, des choix de développement. Peut-être que le référendum pourrait devenir un outil beaucoup plus répété, commun, par exemple au niveau régional. 

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