Cet article date de plus d'un an.

RER en régions : "Le modèle politique de nos métropoles de province est un modèle embouteillé qui ne permet pas la décision", estime Jean Viard

Faut-il instaurer des RER dans chaque métropole ? "Question de société" se penche aujourd'hui sur notre rapport à la mobilité locale. Le premier RER en région devient réalité, à compter de ce dimanche 11 décembre 2022, à Strasbourg.

Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Strasbourg devient aujourd'hui 11 décembre 2022, la deuxième ville en France à posséder un RER, après Paris. près de 1000 trains supplémentaires chaque semaine, vers et autour de la ville.  (RACHEL NOEL / RADIO FRANCE / MAXPPP)

Jean Viard, sociologue, directeur de recherche au CNRS revient aujourd'hui avec Jules de Kiss sur l'un de ses objets de travail favoris : les transports et l'aménagement du territoire. Emmanuel Macron déclarait il y a deux semaines : "Je veux qu'on se dote d'une grande ambition nationale qui est, dans 10 grandes agglomérations des grandes métropoles françaises, de développer un réseau de RER, de trains urbains". 

Des réseaux de trains urbains dans 10 métropoles de France donc, et 15 jours après cette prise de parole, voilà qu'aujourd'hui, dimanche 11 décembre, la Métropole de Strasbourg se dote d'un tel réseau de transports de proximité. En réalité, cela fait trois ans, bien sûr, que ce projet est lancé. Ce sont 123 trains supplémentaires chaque jour, pour relier des communes aux alentours de la capitale régionale, et ce plan va continuer à se développer dans les prochaines années.

franceinfo :  Est-ce que Strasbourg, c'est le bon exemple ? 

Jean Viard : Oui, sur beaucoup de plans, y compris parce que, il y a quelques années, j'avais animé un débat à la Fnac de Strasbourg, les trois maires successifs depuis la dernière guerre, qui étaient à l'époque encore vivants, ont accepté de débattre en public, chacun disant ce qu'il avait essayé de faire, ce qu'il avait réussi, ce qu'il avait raté et les autres le critiquaient. C'était un niveau de débat démocratique qu'on voit dans très, très peu de territoires, et donc ça permet une continuité de l'action publique, et ça permet des résultats comme ce nouveau réseau de transports de proximité.  

La question est très simple : on a depuis quelques années commencé à comprendre que la majorité des Français n'habitaient pas dans les grandes villes. Donc le projet est intéressant, je dirais qu'il a 30 ans de retard, mais il est intéressant. Mais souvent ce qui est compliqué, à Marseille par exemple, la gare est un cul de sac, donc vous ne pouvez pas faire de RER. Le propre du RER, c'est que je peux aller de Toulon à Cavaillon, sans changer de train, et donc du coup, je traverse la ville, ce que fait très bien le RER parisien.

La France de demain, ce sera des grandes métropoles, mais la plupart des gens ont des maisons avec jardin, 60 à 70% des Français, autour des métropoles, et le problème, c'est comment cette irrigation de gens qui veulent avoir un jardin, un arbre et un chien, comment ça les connecte à la métropole moderne, c'est ça le modèle. On est en retard, mais il faut accélérer, on va y arriver. 

Et à Strasbourg, à partir d'aujourd'hui, par exemple, il ne sera plus nécessaire de changer de train pour traverser la métropole. L'attente aussi sera bien plus courte dans les gares. Tout ça, ce n'est pas un détail, ça change profondément les choses ? 

Le transport, c'est un moment où on vit quelque chose. Quand vous êtes dans votre voiture, vous réfléchissez, vous écoutez de la musique, vous écoutez les nouvelles. Si vous avez besoin de parler avec un de vos enfants, vous l'emmenez faire une promenade en voiture. Quand on est en voiture, on est à côté les uns des autres, mais on ne se voit pas. On peut se dire des choses, y compris dans les couples, qu'on ne se dirait pas en face à face.

Le train, c'est pareil. Dans le train, je lis, je regarde ma tablette. Si je dois changer deux fois de train, attendre une demi-heure dans un courant d'air, etc, il n'y a plus rien qui se passe. Donc il ne faut pas considérer le temps de voyage comme vide, il faut lui donner un contenu. 

Comment expliquer que Paris, l'Ile de France, a son réseau de RER depuis plus de 50 ans maintenant, et qu'il y ait eu tout ce retard, toute cette inaction pendant des décennies, ailleurs en France ?  

Hier, dans cette chronique on parlait du bazar territorial local, qui n'intéressait pas la jeunesse en matière électorale. C'est ça le problème : on est dans un bazar, vous avez une myriade de pouvoirs, de petits pouvoirs, des milliers d'élus locaux. Ce n'est pas possible de gouverner comme ça. A Paris, le RER a été fait, à l'époque je crois, quand la ville n'avait pas de maire, et donc la ville était gérée directement par l'Etat. C'est pas que ça soit mon modèle, mais ce que je veux dire, c'est qu'il y a une autorité structurante.

Donc il faut donner à nos métropoles des autorités structurantes avec un maire élu au suffrage universel, avec un conseil réduit etc. Il faut arrêter d'empiler des structures où chacun veut se faire voir pour se faire réélire, donc il faut qu'il donne son avis sur tout, on n'avance pas comme ça. Le modèle politique de nos métropoles de province est un modèle embouteillé qui crée un bazar et qui ne permet pas la décision.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.