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Question de société. Le Grand Marseille : "Est-ce que ça va servir de boosteur à la classe politique ou est-ce que l'Etat va devoir encore plus prendre la main ?"

Habitué du dimanche sur franceinfo, que nous accueillons aussi maintenant le samedi, le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, auteur, éditeur. Et toute cette saison, nous allons essayer avec lui de répondre à des questions de société soulevées par l'actualité.

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Vue aérienne du vieux port de Marseille. (Illustration) (PIERRE-YVES BABELON / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Aujourd'hui bien sûr nous évoquons la ville de Marseille, puisque le chef de l'Etat vient d'y passer trois jours. C'est une ville que le sociologue Jean Viard connaît très bien, qu’il a étudiée, il s’est même engagé pour ce territoire, notamment aux dernières législatives sous la bannière LREM.

Emmanuel Macron est donc venu à Marseille pour faire des annonces. Il y a bien eu le Grand Paris. On a le droit d'avoir ce Marseille en grand, dit-il. Et pour cela, il promet un milliard et demi d'euros pour la police, les écoles, les hôpitaux, la politique de la ville, l'emploi des jeunes, les transports, etc.

franceinfo : Est-ce ce dont cette ville a besoin Jean Viard ?

Jean Viard : En gros, je vais dire oui, ça s'appuie sur un rapport de l'Institut Montaigne. Le président connaît assez bien la ville. Les écoles, n'en parlons pas. L'état est absolument catastrophique. Tout le monde est d'accord là-dessus, sauf sans doute Jean-Claude Gaudin. La police, effectivement, il y avait un énorme problème d'équipements. Et les transports, c'est en retard. Il y a 34 km de métro pour une ville de 800.000 habitants contre 60 à 70 km dans des villes à peu près équivalentes.

Donc, on est là dans un retard de structures d'investissements qui viennent en partie de sous-investissements de l'Etat, mais qui viennent aussi de la façon de faire de la politique dans cette ville, de l'emploi public, des grèves, etc. Du fait que les gens ne travaillent pas ensemble, s’ils ne sont pas du même bord. Il y a eu quelques bons moments mais le résultat, c'est un taux de pauvreté considérable, 30% des gens sous le seuil de pauvreté dans une ville qui a accueilli aussi beaucoup de malheureux, il faut le dire aussi. Des Pieds-Noirs pauvres, des Algériens pauvres, des Arméniens pauvres et qui, des fois sont restés pauvres depuis deux ou trois générations. Il y a cette pauvreté de port de réfugiés et puis il y a la ville normale, et dans la ville normale, il y a des endroits très bien. Marseille Sud, c'est aussi puissant que Montpellier, c'est 300 000 personnes, beaucoup d'activités, etc. Le problème, c'est comment articuler tout ça.

La cité Kalliste, à Marseille. Kalliste est l'une des cités les plus pauvres dans la ville, utilisée comme une base pour le trafic de drogue à grande échelle.  (STEVEN WASSENAAR / HANS LUCAS VIA AFP)

Et que pensez-vous de la méthode du président de la République avec une structure étatique créée pour contrôler une partie des investissements de l'Etat à Marseille ? Un président qui demande aussi des engagements et qui compte revenir à Marseille en octobre et en février, pour vérifier que ces engagements soient bien tenus ?

Si vous voulez, comme ancien élu marseillais, je suis un peu consterné, mais en même temps, il n'y avait pas d'autre solution. On a déjà créé un établissement public pour transformer l'arrière port - quand on arrive à Marseille, ce qu'on voit, les tours, tout ça, la tour, la Marseillaise tout ça, c'est déjà un établissement public. Ça veut dire quoi ? Je vous rappelle que la ville a été mise sous tutelle avant la Seconde Guerre mondiale etc.

Donc ça veut dire qu'effectivement, quand on veut faire des transformations, l'Etat dit : oui, on va mettre des moyens, mais en gros, on garde la main technique et on laisse présider aux maires, bien sûr, c'est normal. Donc ça veut dire quand même qu'on considère que les structures de décision dans cette ville et dans ce territoire au fond, ne sont pas efficaces avec des fonctionnaires mal payés qui ne travaillent pas beaucoup. Avec ça on ne peut pas avancer.

Et puis, de l'autre côté, effectivement, une logique de territoire où on a tendance à beaucoup plus mettre de l'argent dans les endroits où on a des élus que là où on n'en a pas. Ça a été vrai dans la ville de Marseille, les quartiers Nord ont été délaissés au profit de la ville du sud, qui a gardé la mairie pendant 25 ans avec M. Gaudin. Mais c'est vrai aussi au niveau du département, c'était d'ailleurs vrai avec les départements de gauche, c'est-à-dire en gros, on finance d'abord là où le conseil général est favorable, etc. Et donc, du coup, à la fin, Marseille se retrouve prise entre deux chaises. Mais est-ce que les élus vont arriver à se dire : on a une telle intervention publique en termes d'argent, de stratégie parce a toute la dimension culturelle, cinématographique, etc. Est-ce que ça va servir de boosteur à la classe politique ? Ou est-ce que l'Etat va devoir encore plus prendre la main ? Ça, on va le voir assez rapidement.  

Le dernier livre de Jean Viard, La révolution que l'on attendait est arrivée est paru aux Éditions de l'Aube.   

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