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Question de société. Jean Viard : "Moi je crois qu'il faut retenir la beauté humaniste de cette aventure tragique"

Notre rendez-vous "Question de société" avec le sociologue Jean Viard revient aujourd'hui sur la vaccination désormais ouverte à tous dès cette semaine, et sur la solidarité qui a prévalu entre générations, avec des jeunes qui se sont restreints pour sauver les plus âgés. 

Article rédigé par franceinfo, Augustin Arrivé
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Grenoble, le 8 mai 2021. Devant le vaccinodrome. La vaccination contre le Covid-19 est ouverte à tous dès cette semaine.  (VANESSA LAIME / MAXPPP)

La vaccination sera ouverte à tous cette semaine, (tous les majeurs), si tant est qu'on trouve un créneau disponible le soir pour le lendemain. C'est une manière d'éviter de jeter des doses, et ça représente quasiment la fin des multiples vagues d'éligibilité qu'on a connues. Les plus jeunes ont dû sagement attendre leur tour dans cette campagne vaccinale. Un exemple de plus de la solidarité entre générations dans cette crise sanitaire.

franceinfo : Il y a eu quelques fraudes avec de faux certificats médicaux, mais dans l'ensemble la jeunesse a su patienter pour laisser la priorité aux aînés ? 

Jean Viard : D'abord, elle a su patienter. Et puis, en même temps, elle s'est mis petit à petit à avoir envie d'être vaccinée. Parce que au début, il y avait 30 à 35% des gens de moins de 35 ans qui voulaient se faire vacciner. Mais au fond, comme ils n'y avaient pas droit, petit à petit, ils se sont mis à en avoir envie. Et au fond, c'est amusant de voir que l'annonce du président de la République, c'est à peu près au moment où plus de 55 de cette classe d'âge a eu envie de se faire vacciner.

Il y a un vrai désir qui s'est développé dans la société. Il faut dire aussi qu'on a protégé l'essentiel des plus anciens, en tout cas des plus à risque, avec des problèmes de maladie, etc. En tout cas, ceux qui voulaient se faire vacciner. C'est pour ça qu'il restait des doses, parce qu'il y a des gens qui ne venaient pas aux rendez-vous.

On s'est bien rendu compte qu'au fond, j'allais dire on a "fait le plein" des très motivés, et puis ne soyons pas naïfs, le président de la République a annoncé 20 millions de vaccins, je crois au 15 mai, puis 30 millions après. Il fallait tenir les objectifs. Ben là, on était parti pour ne pas les tenir. Pour redonner confiance à la nation, ça a l'air idiot cette comptabilité, mais au fond, ça joue sur le moral. Donc, on a fait les plus à risque. Donc maintenant, on va y aller gaiement. On va dire les choses comme ça. 

Mais c'est vrai que ce virus aurait pu fractionner les générations puisqu'il s'attaquait en priorité aux personnes les plus âgées. On a vu depuis l'an dernier qu'il y avait une vraie solidarité finalement dans la société française entre les plus jeunes et les plus âgés ? 

Mais oui, moi, je crois que dans la plupart des familles, en tout cas, il y a eu beaucoup de solidarité. On l'avait vu au moment de Noël. Après, c'est vrai que ce qui s'est passé dans l'humanité, c'est qu'on a sauvé les vieux et les malades, puisqu'au fond, c'est ceux qui risquaient le plus. Si on est 5 milliards à s'être confinés et si effectivement, on a accepté de casser une partie de l'économie, etc. on peut dire : est-ce que sauver les plus anciens, c'est un geste magnifique d'humanisme ? Je lisais André Comte-Sponville dans Le Monde de la semaine dernière, et lui disait en fait, c'est un peu l'inverse. On a restreint la vie des jeunes pour sauver les vieux.

Moi, je trouve ça magnifique, effectivement, cette vision des jeunes qui, effectivement, ont souffert, effectivement ont perdu un temps de leur vie. Faut pas oublier non plus les générations des guerres. C'est quand même pire, mais finalement, c'est très beau en termes d'humanisme. Mais moi, je crois qu'il faut retenir la beauté humaniste de cette aventure tragique.

Mais on n'en a pas encore fini avec ce virus. Évidemment, ceci dit, on a envie de voir plus loin, d'imaginer déjà le lendemain. Alors, qu'est-ce qu'il restera de cette solidarité ?

C'est difficile à dire. Attendez, on est au troisième confinement, chacun a été différent, c'est la troisième fois qu'on déconfine. Personne ne sait si c'est la dernière. Donc, on ne peut pas raconter l'histoire tant qu'elle n'est pas achevée. On espère avec le vaccin, les rappels etc... On voit bien qu'on est en train de gagner la bataille. Mais d'ici qu'on soit 6 milliards à être vaccinés, on n'est pas sorti de l'auberge. Qu'est ce qui va rester ? Vous savez, ça va dépendre de la construction du récit qu'on va faire de cette aventure.

Pour la dernière guerre, on a construit le récit de la résistance, et on a effacé les choses qui étaient moins glorieuses, voire totalement tragiques et lamentables. Est-ce qu'on va être capable de construire le récit d'une humanité qui se solidarise, pour sauver des dizaines de millions d'êtres humains ? Si on construit ce récit positif, il y aura une vision humaniste. Si on ne se rappelle que les concurrences, les problèmes financiers, les problèmes de dictature, de populisme, ce sera un récit différent. Je ne sais pas quel récit ce sera, je vous répondrai dans 3 ou 4 ans. 

Le nouveau livre de Jean Viard, Le triomphe d'une utopie sort dans deux semaines aux Éditions de l'Aube. 

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