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Question de société. Jean Viard : "Il n'y a pas de liberté sans règles, et la liberté ça se protège par du droit"

Twitter a donc fermé le compte personnel de Donald Trump aux 88 millions d'abonnés, puis a supprimé ses messages de mécontentement depuis le compte de la présidence américaine. Le sociologue Jean Viard analyse ce nouvel épisode de l'histoire des réseaux sociaux. 

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les réseaux sociaux et la liberté d'opinion. Après la fermeture par Twitter du compte personnel de Donald Trump, l'histoire des réseaux privés traverse un nouvel épisode. Illustration (PIXELFIT / E+ / GETTY IMAGES)

Le sociologue Jean Viard évoque aujourd'hui la fermeture par Twitter du compte personnel de Donald Trump avec ses 88 millions d'abonnés, et la suppression de ses messages de mécontentement depuis le compte de la présidence américaine. Cela pose de nombreuses questions.

Le secrétaire d'Etat au Numérique, Cédric O, disait sur l'antenne de franceinfo samedi 9 janvier :  "Ce qui interroge dans cette histoire, c'est que Twitter prend une décision unilatérale, dont on peut se demander d'une certaine manière pourquoi maintenant ? Donald Trump a fait pire dans le passé. Pourquoi lui, et pas d'autres, qui font pire ; et qu'ils peuvent décider de manière complètement unilatérale, en se référant à leurs seules conditions générales d'utilisation, de censurer quelqu'un qui a 88 millions de followers, et donc interviennent dans le débat public, sans aucune supervision démocratique."

franceinfo : La supervision démocratique du débat public par des acteurs privés, les réseaux sociaux, c'est une question de société, Jean Viard ? 

Jean Viard : Oui, c'est une vraie question de société. Il y a deux choses : d'abord ce qui s'est passé à Washington. C'est triste. Moi, j'étais très triste parce que finalement, depuis 1776, les États-Unis étaient un modèle démocratique...

... Capable de l'introduction des partisans de Donald Trump dans le Capitole...

J'y reviendrai après, parce qu'à mon avis, c'est un passage du populisme au fascisme comme type d'action politique. Après, évidemment, on avait cru, pas tout le monde, mais un certain nombre de gens avaient cru que Twitter et les autres réseaux, au fond, c'était la liberté sans règles. Il n'y a pas de liberté sans règles. La liberté, ça se protège par du droit. Et le mythe un peu nouvel âge, post-soixante-huitard, mais aussi, évidemment, très porté par les modèles économiques de Twitter, c'était l'idée qu'il n'y avait pas de règles. Et là, ils s'affrontent au fait que ce n'est pas vrai. Il y a besoin de règles, et notamment les règles de droit, et donc les règles de droit, ce sont des décisions publiques. Après, qu'il y ait des opinions différentes, avant L'Humanité n'interrogeait pas régulièrement le patron du Medef ou Le Figaro n'interroge pas tous les matins le patron de la CGT. Donc y a des choix. 


La question au fond, c'est :  est-ce que Twitter, c'est comme le papier du journal ? Et donc, on écrit dessus l'opinion - ce n'est pas le fabricant de papier qui peut  avoir un avis. Ou est-ce que Twitter, c'est un média, et donc, il est responsable de ce qui circule ? Je pense que c'est une des grandes questions des prochaines années. Il y a déjà des limitations aux États-Unis, et je pense que le débat revient en force. Mais c'est très compliqué, parce que c'est un média mondial et donc les régulations sont complexes.

La deuxième question, c'est : qu'est-ce qui s'est passé ? Et c'est là où je ne suis pas entièrement d'accord avec le secrétaire d'État. Je pense que le populisme, c'est une forme politique puissante, mais qui est dans le champ démocratique ; à la différence du fascisme, qui est à l'extérieur du champ démocratique. Le populisme, ce sont des gens qui représentent des milieux populaires, souvent fortement abandonnés par la mondialisation. Aux États-Unis, les petits blancs qui n'ont que leur couleur de peau comme capitale, si on peut se permettre cette image, notamment du Sud, on a revu le drapeau confédéré. Donc, au fond, le populisme, c'est ces gens là qui tentent de prendre le pouvoir à leur avantage. En général, ils n'ont pas de projet. Ils ont un hurlement, une souffrance. On l'entend dans plein de sociétés.

Ce qui s'est passé au Capitole, ça fait penser aux journées de 1934 en France, c'est-à-dire : ce sont des émeutiers qui viennent de l'extrême droite, qui sont à l'extérieur, qui veulent casser ce modèle démocratique. Au fond, on a bien vu : Donald Trump a hésité, parce qu'il a appelé à une manifestation, hyper populiste qui a dégénéré en fait en mouvement néo-fasciste ou fasciste. Et d'ailleurs, le Parti républicain a dû lui taper dessus toute la nuit, et le lendemain, il a reculé. Et la majorité des électeurs de Donald Trump ont désavoué, parce que la majorité de ces électeurs, ce sont des populistes démocratiques, si on peut dire des choses comme ça, je crois que c'est important de faire cette distinction, parce qu'elle nous pend au nez un peu partout. Et je crois que c'est là-dessus qu'il faut réfléchir. 

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