Pour Jean Viard, "le ramadan est de plus en plus pratiqué dans une culture en expansion, mais à laquelle on n'a pas donné pour l'instant sa place symbolique"

Le ramadan qui va commencer donne au sociologue Jean Viard l'opportunité de réfléchir à une meilleure intégration de la religion mulsulmane en France.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
"L'islam d'Europe et de France est devenu une des grandes croyances et cette grande croyance permet à des gens d'avoir du lien, d'avoir de la fraternité", souligne Jean Viard.(Illustration) (PHILIPPE LISSAC / GODONG / STONE RF / GETTY IMAGES)

Il y a entre cinq et six millions de Français musulmans. À peu près trois quarts d'entre eux déclarent faire le ramadan. La Grande Mosquée de Paris va annoncer le début de cette période très importante dans la religion musulmane, dans les prochaines heures.

franceinfo : Aujourd'hui, donc, plusieurs millions de Français, vont entamer un mois de jeûne ?

Jean Viard : Absolument. Il faut dire que c'est de plus en plus pratiqué, chez nous, mais pas que chez nous, en Algérie aussi, etc. Il y a le ramadan dans la culture musulmane, prend de plus en plus d'importance, il y a aussi des pressions pour que ce soit appliqué. Ce qu'il faut dire aussi, c'est que ce n'est pas uniquement religieux. Il y a des gens qui ne croient pas, mais qui considèrent ça comme un geste culturel.

Il y a le culturel et le religieux qui se mélangent et je dirais que les gens de culture musulmane non croyants, qui existent comme chez les catholiques, les juifs ou les protestants, effectivement, peuvent le faire aussi de plus en plus, pour montrer leur appartenance à la culture, pour valoriser la communauté. Peut-être aussi parce que comme ils se sentent extrêmement agressés dans notre société, on a tendance à se rapprocher du plus faible et de l'opprimé.

Après, il faut dire une chose, en France, il y a 2 600 lieux de culte musulman, ce qui est peu par rapport à l'importance, surtout que ce sont des lieux de culte, beaucoup plus que des mosquées. Pour vous donner un ordre de grandeur, en France, il y a 42 000 églises, 300 synagogues, et à peu près 600 temples protestants. Mais les musulmans pratiquent davantage, il y a plus de mosquées – on vient d'en inaugurer une très belle à Strasbourg – donc il y en a plus qu'avant, mais il y a encore peu d'endroits où la mosquée est un monument de la ville.

On tolère qu'il y ait la religion musulmane, donc il y a des salles de prières, on est un peu sorti de l'époque des caves, où c'était vraiment caché, mais ce ne sont pas encore des monuments urbains. Donc on voit bien que c'est plutôt une culture en expansion, mais on ne lui a pas donné pour l'instant sa place symbolique.

Ça fait longtemps que je plaide pour qu'il y ait une grande mosquée par région, sur une grande place, avec un centre culturel, avec un centre de formation des imams. Il faut accepter que c'est une grande religion européenne, qui pénètre en Europe, et c'est une grande religion qui pénètre avec les enfants de la colonie, qui sont venus en France après les décolonisations, ou avant, et petit à petit, pour l'instant, je pense qu'il faut affirmer le droit de toute religion à exister. Moi, je ne suis pas religieux personnellement, mais je pense que c'est une question de respect des gens, de leur culture, de leur façon de vivre.

Et pour vous, cela passe notamment par des mosquées qui auraient pignon sur rue ?

Et qui seraient comme des églises, parce que je pense que l'espace public doit s'organiser autour des différentes pratiques sociales. La religion est une des pratiques sociales. Il y a 52% des Français qui disent ne plus croire à aucune religion. Donc l'absence de croyance religieuse est devenue majoritaire. Mais n'empêche qu'il y en a qui croient toujours. C'est très bien pour eux.

Prenons un exemple tout simple, où se trouve la plus grande mosquée de Provence, elle est à Carpentras. Mais où est-ce qu'il y a plus de musulmans ? À Marseille. Est-ce qu'il ne serait pas logique que dans une ville où presque un habitant sur quatre est religieux, musulman, il y ait une très belle mosquée sur une grande place avec le nom donné à l'émir qui défendait les Algériens pendant la conquête de l'Algérie. Et donc effectivement, est-ce que ça ne fait pas partie de l'intégration, que d'intégrer le respect pour la culture de l'autre ? 

Et que faire du débat que ferait jaillir un tel projet d'une mosquée en centre-ville ? Crispation dans la société, il faut en passer par là pour le dépasser ?

Il faut se dire qu'on est entré dans le temps, où ces cultures se mélangent. Et donc, on ne peut pas le cacher, parce que ça a un effet tout à fait négatif. Les Français sont de plus en plus accueillants à l'idée que la diversité est une richesse. Mais ce qu'on entend dans l'espace public, c'est un discours extrêmement négatif.

Moi, je crois qu'il faut affirmer effectivement contre les racistes, contre ceux qui refusent l'islam d'Europe et de France, qu'effectivement c'est devenu une des grandes croyances de chez nous, et que cette grande croyance, elle permet à des gens d'avoir du lien, d'avoir de la fraternité, y compris qu'il faut la contrôler, il faut que les imams effectivement parlent français, c'est tout à fait logique ce qu'on est en train de faire. Je ne suis pas pour que toutes les rues soient ouvertes à tout le monde partout, mais je pense que c'est plutôt en ouvrant la société qu'on va détendre les tensions qui sont en train de monter, et qui favorisent certains extrémismes.

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