Meilleurs ouvriers de France : "Aujourd'hui les nouvelles générations aspirent à avoir une formation intellectuelle et une formation manuelle", précise Jean Viard

Les 100 ans des meilleurs ouvriers de France sont célébrés jusqu'à demain dimanche, à Lyon. Comment valoriser le travail manuel, montrer tout son sens ? C’est notre "Question de société" aujourd'hui, avec le décryptage du sociologue Jean Viard.
Article rédigé par franceinfo - Jean-Rémi Baudot
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Aujourd'hui, surtout depuis la crise du Covid, il y a un regain pour les métiers qui apportent du sens, des métiers concrets. La France compte 800.000 apprentis, il y a 5 ans, il y en avait 300.000. (Illustration) (SERTS / E+ / GETTY IMAGES)

Ils sont bouchers, boulangers, carreleurs, jardiniers ou encore photographes, et jusqu'à demain dimanche, les meilleurs ouvriers de France sont à l'honneur à Lyon, pour fêter les 100 ans de ce titre avec des ateliers, des démonstrations, les finales des concours. On fête les 100 ans de ce titre de Meilleur ouvrier de France parce qu'à l'époque, il y avait déjà une volonté de relancer l'apprentissage, de valoriser le travail manuel.

franceinfo : Pourquoi ce combat, finalement, traverse-t-il les décennies ?

Jean Viard : Alors à l'époque, c'était différent parce que l'essentiel des emplois était agricole. Et donc effectivement, il fallait faire monter les emplois dans l'artisanat et dans l'industrie, aujourd'hui, on a un autre enjeu. La France, au fond, n'a jamais été vraiment un grand pays industriel. On a été un pays bâti sur l'éducation, l'école, le certificat d'études, et le statut royal c'était d'être fonctionnaire ou dans une société de services. Et puis à côté, il y avait le monde paysan. Il y avait deux grands mondes finalement.

Et puis, on a beaucoup développé l'industrie, avec des mains qui venaient de l'étranger, donc des métiers très simples. On a de plus en plus simplifié le travail à la chaîne, donc dans nos usines, il y avait des Belges, des Marocains, des Espagnols, des Italiens, ça a été l'industrie française de l'après-guerre. En fait beaucoup de cette main-d’œuvre était immigrée. Et petit à petit, on a essayé de supprimer les usines, en espérant souvent faire disparaître les immigrés ou avoir des gens beaucoup moins chers à l'autre bout du monde.

Et puis aujourd'hui, c'est plus comme ça, depuis le covid, le monde d'un point de vue économique, on s'est rendu compte que n'avoir qu'une seule usine à l'autre bout du monde qui nous livre, s'il y a une guerre, ou le Covid, on n'a plus rien. Regardez les semi-conducteurs avec Taïwan. Donc on s'est dit : il faut qu'on reconstruise l'industrie locale. Deuxième chose, les métiers du tertiaire. Qu'est-ce que vous dites à votre gamin ? Si vous travaillez à la sécurité sociale ou dans une administration, maman, papa travaille, je vais travailler, c'est abstrait ! Si vous dites je suis boulanger ou je suis garagiste, ou je suis peintre, le gamin voit son père travailler, voit le résultat, au fond, le travail est concret.

Et je pense que les nouvelles générations ont une aspiration à faire les deux. Aujourd'hui, on revient à une idée beaucoup plus intelligente. Tout individu doit avoir une formation intellectuelle, une formation manuelle. C'est vers ça qu'on va. Et on a créé 800.000 apprentis, il y en avait 300.000 il y a cinq ans. Mais alors justement, on a fait un énorme travail d'apprentissage.

On fait la promotion du travail manuel, de l'apprentissage, mais on voit bien qu'il y a un problème. Ça ne marche pas vraiment bien, puisqu'on entend sans cesse parler du manque de main-d’œuvre ?

Oui, mais ce n’est pas la même chose, parce que dans les 800.000 apprentis qu'on a en France en ce moment, qui sont comptés comme des actifs, ils n'ont pas le statut d'étudiant puisqu'ils sont en alternance. Donc ils sont dans les Français qui travaillent. Et on manque de main-d’œuvre dans un certain type de boulots, souvent, c'est plus lié au fait que ce sont des métiers à forte contrainte. Mais c'est vrai que depuis le Covid, il y a des tas de gens qui ont été payés pendant plusieurs mois à être chez eux, certains ont divorcé, mais beaucoup se sont rendu compte que leur vie était une galère, leur logement etc...

Nos modes de vie, nos envies ont changé, mais cette crise du Covid a aussi poussé certains Français à quitter leur job de bureau pour aller vers un travail manuel, parce qu'il y avait une forme de quête de sens aussi ? 

Mais bien sûr ! Vous savez aux Etats-Unis, il y a 48 millions d'Américains qui ont démissionné de leur boulot après le Covid, 48 millions. Bon, d'accord, ils ont plus de 130 millions d'actifs, mais c'est presque le tiers, donc c'est encore plus fort que chez nous. Mais chez nous, c'est un phénomène qui existe, et je pense qu'il va se développer. D'une part, parce que d'un autre côté, on a des maisons où on a envie d'avoir envie d'avoir du parquet, des choses un peu uniques. Donc il y a toute une demande de sens, dans nos maisons en particulier.

Et puis de l'autre côté, une demande de sens de ceux qui travaillent. "Moi, voilà, j'ai fait la terrasse, regarde ça, c'est moi qui l'ai fait", etc., donner du sens à sa vie, et que ce sens soit inscrit dans une révolution écologique. Et après, il faut le dire, on est dans une société du temps libre, on travaille à peu près 10% des heures où on va vivre sur cette terre. Il y a sans doute une façon de nécessité de remobiliser, non pas en travaillant plus, en heures, mais en ayant un engagement dans le travail, parce que le travail, c'est ce qui me lie aux autres.

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