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Luttes sociales et politiques : "C'est un phénomène de guérilla qui est en train d'entrer dans la culture de notre société"

Quel est le rapport entre les formations politiques et les syndicats ? En cette période de tension sociale et politique, le regard du sociologue Jean Viard, sociologue, directeur de recherche au CNRS.

Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La marche contre la vie chère et l'inaction climatique s'est tenue, dimanche 16 octobre, entre la place de la Nation et celle de la Bastille, à Paris.  (SADAK SOUICI / LE PICTORIUM / MAXPPP)

La gauche politique et les syndicats peuvent-ils marcher main dans la main ? Cette relation entre partis politiques et organisations syndicales a pu fluctuer au cours de l'histoire, et la question se pose à nouveau, au terme de cette semaine, après une Marche contre la vie chère dimanche 16 octobre, organisée par la gauche, après une journée de grève mardi 18, organisée par les syndicats et dans la foulée mercredi, cette réunion entre les partis de la NUPES et puis des syndicats. Le décryptage du sociologue Jean Viard. 

franceinfo : Alors que des batailles communes s'annoncent dans les semaines, dans les mois à venir, est-ce que cela peut aboutir à une convergence des luttes sociales et politiques ? 

Jean Viard : Je ne pense pas. D'abord, tous les syndicats n'y sont pas, les principaux syndicats, la CFDT n'a pas participé à ces mouvements, la CFTC et la CGT non plus. Donc il faut faire attention. Je crois que c'est un phénomène de guérilla qui est en train d'entrer dans la culture de notre société, on a des combats minoritaires, mais qui ont envie de dire des choses, mais en même temps, quelque part, on a bien vu ça, les syndicats majoritaires signent un accord chez TotalEnergies et le minoritaire le refuse.

Mais pourquoi dites-vous, guérilla ?

Ce n'est pas des foules, on ne met pas 1 million de personnes dans la rue, on n'est pas dans des rapports de force de masse entre le capital et le travail, pour reprendre les thèmes habituels. On est dans des phénomènes qui se portent sur des lieux qui bloquent la société.

Le transport a toujours été au cœur des luttes sociales. Il y a 30 ans, c'était la SNCF, quand la CGT-SNCF et RATP se mettaient dans la bataille, on savait que ça allait gagner. Après, on a eu la guerre des camionneurs au début des années 90, 92, 96, parce que le transport des marchandises, notamment celles qui touchent les entreprises, étaient passées effectivement dans le camion. Après, on a eu les grandes bagarres de l'aérien et aujourd'hui, je dirais qu'on est dans une lutte dans le pétrole. Mais n'empêche qu'ils ont la clé comme les autres avaient la clé avant. 

Donc toutes ces revendications sont portées à la fois par des partis politiques et puis aussi, par des organisations syndicales, mais avec des rôles, des moyens d'action différents et qui s'opposent même parfois. Est-ce que un rapprochement est possible ou alors serait-il surprenant ? 

Aux dernières élections, les ouvriers ont voté 50% Rassemblement National au premier tour, 20% pour la NUPES, et au deuxième tour, 65% des ouvriers ont voté pour le Rassemblement National. C'est des taux qu'on avait il y a 40 ans pour le Parti communiste. Le milieu ouvrier a toujours été protestataire. C'est un peu normal. C'est la partie de la société souvent qui travaille le plus, qui a le sentiment d'être exploitée plus que les autres.

Donc c'est là qu'est le cœur de la contestation sociale depuis toujours, mais les formes ont changé, parce qu'on est passé d'un Parti communiste qui était très organisé, et qui structurait la CGT – on rappelle que le secrétaire général de la CGT était toujours membre du Parti communiste et membre du bureau du Parti communiste – à effectivement un système différent, où là, on a beaucoup plus des rapports de force, c'est pour ça que j'appelle ça de la guérilla, des coups de poing sociaux. 

On peut rappeler globalement le faible taux de syndicalisme en France autour de 10%, c'est largement supérieur dans les pays scandinaves, 70% en moyenne, mais même à l'échelle européenne, on est autour de 20 à 25% de taux de syndicalisme. Est-ce que la faible politisation en France peut expliquer ce manque d'engagement ?  

En Angleterre, par exemple, le Labour s'appuie sur les Trade-Union, ils sont membres de la direction du parti politique. On a la même chose en Allemagne, où il y a un lien structurel entre le syndicat et le Parti social démocrate. Et dans les pays scandinaves, vous avez des pays où ne bénéficient des avantages des luttes que les membres du syndicat.

C'est pour dire que le système français est un système d'extraordinaire liberté où il n'y a plus de lien organique entre les partis politiques et effectivement les syndicats, alors c'est vrai qu'après il y a des liens historiques. il y a eu le lien historique de la CGT et du Parti communiste, celui entre FO et le Parti socialiste, et aussi à FO, les trotskistes qui sont souvent très représentés. La CFDT est issue des partis des mouvements catholiques, puisque au départ c'était un syndicat chrétien, et qu'il a cessé de l'être avec la rupture avec la CFTC. Mais en France, ce sont des liens culturels et ce ne sont pas des liens administratifs obligés. Mais après, le taux de syndicalisation, si on enlève tout ça, je ne pense pas qu'il y ait des effets très nets.

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