"Les jeunes, c'est la grande angoisse des politiques, ils sont très engagés, et la retraite, ils sont assez convaincus qu'ils n'en auront pas", estime Jean Viard
Les organisations étudiantes lycéennes appellent à se mobiliser le 9 mars contre la réforme des retraites, et elles semblent entrer de manière plus prononcée dans cette question de société. C'est le sujet du jour avec, comme chaque weekend, le regard du sociologue Jean Viard.
franceinfo : Au delà de l'intérêt pour les syndicats de rythmer le calendrier, comment expliquer Jean Viard, ce retard à l'allumage ?
Jean Viard : Il y a plusieurs choses. D'abord, c'est que les manifestations sont d'abord fortes en province, dans les petites villes assez peu reliées au réseau TGV. Donc, ce ne sont pas des grandes villes universitaires. Cela veut dire que la majorité de la jeunesse est en fait étudiante, si elle n'est pas dans cette dimension-là. Ceux qui manifestent beaucoup, ce sont les gens "de peu" dans la France – je reprends l'expression de Pierre Sansot (anthropologue, philosophe et sociologue français (ndlr) – et ce n'est pas du tout critique, mais c'est une certaine France qui se sent en permanence rejetée.
Il y a une deuxième chose, c'est que je pense que quand on est jeune, franchement, sa retraite, ce n'est pas le premier souci. Surtout que les jeunes sont assez convaincus qu'ils n'en auront pas. C'est-à-dire qu'on en a tellement discuté des retraites depuis quelques années qu'au fond, ils n'ont aucune confiance dans l'idée d'avoir une retraite. On va voir ce qu'ils font. Donc ça, c'est une vraie question. Et puis, plus dynamiquement, chaque génération a son sujet majeur. Moi, je suis de la génération 68, de la guerre du Vietnam. La génération d'avant, c'était la guerre d'Algérie.
Après, il y a eu les générations des batailles lycéennes contre les lois Haby, etc. Et au fond, aujourd'hui, le combat central de la jeunesse, c'est le combat climatique. Donc, je dirais, pour la partie étudiante, c'est la génération climat. La partie moins étudiante, plus populaire, plus probable, elle est peut-être plutôt angoissée par le mythe du grand remplacement ; grand remplacement comme mythe, parce qu'il n'y a pas de grand remplacement. Et puis, de l'autre côté, il y a le grand réchauffement.
Justement, vous évoquez la question climatique, mais malgré tout, ce débat sur les retraites, il ouvre aussi un débat sur le travail, la valeur travail, avec des questionnements sur la surproduction, la surconsommation et donc, quelque part, la protection de la planète ?
Oui, mais bien entendu. Mais en même temps, au fond, toute la discussion qu'on va avoir dans les années qui viennent, c'est : il faut produire plus, où ? Et consommer moins, où ? C'est un peu ce jeu. Il faut innover, donc on va produire plus, mais produire autre chose. C'est ça qui se joue : produire plus et consommer autrement, on pourrait dire.
Et le débat pour les jeunes, il se porte plutôt là-dessus, peut-être sur le travail, plutôt que sur la retraite, sur quel temps on consacre aussi au repos ?
Il y a ça, mais les jeunes, c'est pas encore vraiment leur grand problème. Le problème de la jeunesse, c'est de faire des choses qui se voient, c'est-à-dire qui sont dans une vitesse de vie, de temps court. Et ils sont très engagés, les jeunes. Sur une ZAD, avec le mouvement Extinction Rebellion. Quand on vous dit en 2050, il va se passer ça, 2050, on n'y est pas arrivé !
Donc c'est un des gros problèmes du débat sur les questions écologiques, c'est de donner des délais très courts, de dire aux gens, voilà, dans deux ans, on veut faire ça, ce ne sera pas génial, mais on avance. C'est comme si un escalier, il n'y avait pas les marches. Il faut mettre les marches, y compris parce que les jeunes, les marches, ils peuvent les prendre en poids, parce que c'est du réel, c'est du concret. A 30 ou 40 ans, honnêtement, le monde peut tellement changer, il peut y avoir des guerres, des explosions, etc, que c'est plus compliqué.
Sans remonter à Mai 68, les étudiants, ils ont fait tomber le SMIC jeunes en 94, le CPE en 2006. Quand ils se mobilisent, ils poussent souvent les gouvernements à reculer quand même ?
Mais les jeunes, c'est toujours la grande angoisse des politiques, parce que les jeunes, ils ont cette lutte festive, ils ont cette puissance, et en plus, ils sont très solidaires. Donc c'est clair que les gouvernements les craignent. En même temps, les exemples que vous avez cités, le Smic jeunes, tout ça, c'était des choses qui concernaient directement les jeunes, donc on voit bien pourquoi ils ont eu aussi ce type de manifestations.
Je pense que la retraite, ça ne les concerne pas tout à fait directement, en tout cas pas tout de suite, ça les concernera plus tard. Il faut garder l'idée que la retraite est plutôt un problème de gens en cours de carrière, qui voient changer l'histoire qu'ils s'étaient raconté pour finir leur vie, et ça les désorganise mentalement, familialement, alors que les jeunes, ils commencent une histoire de vie, ils ne se sont pas vraiment raconté comment ils l'arrêteront.
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