Les grandes figures de l'Histoire au Panthéon : "C'est la mémoire des grandes réussites de la République, on a besoin d'épopée, besoin d'aller au-delà du vivant", estime Jean Viard

Le 21 février 2024, 80 ans après les événements tragiques du Mont-Valérien, l'ouvrier et poète arménien Missak Manouchian, fusillé avec la plupart de ses camarades résistants, entrera au Panthéon avec sa femme Mélinée. Dans quelques mois, ce sera aussi le cas pour Robert Badinter, l'ancien garde des Sceaux mort le 9 février dernier.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
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Publié Mis à jour
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Illustration en hommage à Missak Manouchian qui entrera au Panthéon le 21 février prochain. Oeuvre du street-artiste, illustrateur et affichiste parisien, Dugudus. (BRUNO LEVESQUE / IP3 PRESS / MAXPPP)

Missak Manouchian, héros de la Résistance, entrera au Panthéon le 21 février prochain. Ce sera le cas aussi dans quelques mois, de Robert Badinter. Emmanuel Macron l'a annoncé cette semaine lors de l'hommage national à l'ancien garde des Sceaux. Une question de société décryptée par le sociologue Jean Viard. 

franceinfo : D'où vient ce besoin, dans notre société, de rendre hommage de la sorte aux grandes figures de notre pays ?

Jean Viard : Je m'appuie sur un livre que j'aime bien, Le grand homme et son pouvoir de Jean-Baptiste de Cherf. Il dit que c'est un imaginaire qui est né à l'époque romantique, à un moment où on avait à la fois l'impression que le monde était connu partout, donc il n'y avait plus de grande épopée et que, de l'autre côté, il n'y avait plus de roi, donc il n'y avait plus un grand chef sacré. Et au fond, tous les grands romantiques, Chateaubriand, Hegel, puis après, Barrès, Bergson, toute cette époque de penseurs, ils ont cherché des grandes figures pour rassembler les peuples.

Alors il y a des peuples qui les ont gardés, la reine d'Angleterre par exemple. Les Américains, ils ont les quatre fondateurs, George Washington, Jefferson, Roosevelt et Lincoln, qu'ils ont sculptés dans une énorme montagne. Et ce sont leurs quatre premiers présidents qui sont leurs figures tutélaires. Donc, chacun a une histoire. Et puis, en même temps, chaque président veut afficher sa couleur politique et essayer de rassembler le peuple autour de ses valeurs.

Avec le président Macron, il y a à la fois le couple des Manouchian, des résistants, des apatrides, tous ces gens qui se sont battus pendant la Seconde Guerre, qu'on a mis longtemps à reconnaître, et Robert Badinter, dans quelques mois. Au fond, il définit sa vision du héros d'une certaine façon. Et dans un monde où on ne sait pas où on va, effectivement on se rassemble. Et d'ailleurs, si je peux me permettre, ce ne sont pas des discours politiques, ce sont souvent de très beaux discours. 

Rappelez-vous le discours de Malraux sur Jean Moulin, qu'on a généralement gardé en mémoire : "Entre ici Jean Moulin, avec ton terrible cortège, avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé comme toi, et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé". Ce sont des très beaux moments de l'histoire de la République. Et donc on essaie de se rassembler autour de ça.

Est-ce que c'est une façon de transmettre aussi notre histoire aux jeunes générations ?

Oui, c'est une façon de raconter les grands hommes. Les grands hommes ça existe, les chefs de guerre, les très grands artistes, des gens qui, à un moment dans leur époque, font sens pour les autres. On y adhère, on les aime, on regarde ce qu'ils font. On pourrait citer Picasso, vous pouvez citer des grands artistes, des grands écrivains. Ça change un peu suivant les périodes.

Mais l'idée de les rassembler dans un même lieu, quelque part, c'est la mémoire des grandes réussites de la République. Et ça, c'est important. On se raconte qu'on vit ensemble. Il y en a qui ont des réussites extraordinaires, il faut les respecter, ce sont quand même des figures magnifiques de l'histoire républicaine. Je pense que c'est une transmission positive pour la jeunesse.

Et les Français semblent attachés à ces moments d'unité, très suivis à la télévision, avec du monde aussi sur place pour suivre ces cérémonies. Ça ne se démode pas ? 

Non, ça ne se démode pas parce qu'on a besoin de ça, dans la mesure où aujourd'hui, vous faites le tour du monde en avion avec Internet en dix secondes, la terre est devenue toute petite. On a besoin d'épopée, on a besoin d'aller au-delà du vivant, on a besoin d'aller au-delà de la mort. On a besoin de s'inscrire dans l'Histoire.

Et ça donne sens à chacune de nos vies individuelles. Chacun le fait à son niveau, mais ces moments sont des moments qui nous rassemblent et en général, ce sont de très belles figures qui construisent petit à petit le récit républicain et son évolution historique.

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