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"Les grandes institutions religieuses qui géraient les sociétés ont perdu leur influence et des marchés de niche animés par des gourous se sont créés", Jean Viard

Qui sont les nouveaux gourous, ceux qui prônent le développement personnel ? La réflexion du sociologue Jean Viard, en compagnie de Benjamin Fontaine.

Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les nouveaux gourous et coachs en tout genre ont-ils remplacé la confession et les bons vieux curés d'antan ? (Illustration) (RICHARD VILLALON / MAXPPP)

La Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires n'a jamais été autant sollicitée. Elle a été saisie plus de 4000 fois en 2021, et en grande partie par des victimes de ceux qu'on appelle les "nouveaux gourous", ces hommes et ces femmes adeptes de la médecine alternative, qui vous promettent bien-être et développement personnel. L'éclairage du sociologue Jean Viard. 

franceinfo : Naturopathie, méditation en pleine conscience, jeûne, on a autour de nous de plus en plus de personnes qui font appel à ces techniques en dehors de la médecine traditionnelle. Ça vient de quoi selon vous ? 

Jean Viard : A une époque, tout ça, c'était dans le champ du religieux. Les grandes institutions religieuses qui géraient les sociétés ont effectivement perdu leur influence. Et donc le monde complotiste qui se construit dans la sphère numérique au fond occupe une place qui est disponible. Et nous avons des attentes individuelles de méditation, de soins de notre corps, etc, et donc effectivement se créent des "marchés de niche" qui sont animés par des gourous, dans lesquels il y a à la fois des choses remarquables, de soins de la personne, d'attention à l'autre, etc. Au fond, c'était le problème des confessions, on allait se confesser au curé, maintenant, on parle à quelqu'un d'autre. On a besoin de parler, on a besoin d'échanger.

Après, bien sûr, c'est instrumentalisé au nom soi disant d'une chose naturelle mais l'homme a transformé le monde et d'une certaine façon, si le monde était resté à l'état naturel, l'homme aurait une espérance de vie, peut-être de 25 ans, il n'y aurait pas d'oeuvres d'art, pas de recherche scientifique, etc. La nature ne sauve pas l'homme, ce qui sauve l'homme c'est la culture, c'est la capacité de l'homme à inventer la science, à inventer les médicaments, à capter l'énergie, à aller pêcher les poissons en mer, etc.

Donc au fond, il y a une confusion entre l'idée que si on retourne à la nature, à la Rousseau, tout va s'arranger, mais de l'autre côté, une vraie question, c'est le nouveau respect face à la nature qu'on est très nombreux à revendiquer. Les gens veulent voir des arbres par leur fenêtre, d'ailleurs si ils quittent les grandes villes aussi nombreux, c'est parce qu'ils ont envie d'avoir un jardin, de planter un arbre, d'avoir un chien, etc. Si vous voulez ça, c'est la face positive du phénomène. Mais évidemment, il y a une face négative qui est instrumentalisée. 

La Miviludes dit aussi que la crise du Covid a entraîné une augmentation des saisines. On a vu aussi fleurir les théories complotistes, notamment sur Internet. La pandémie a vraiment développé, selon vous, une défiance envers le milieu de la santé ? 

Disons qu'elle s'est exprimée, soyons quand même honnête, il y a plus de 90% des gens qui se sont fait vacciner, donc faisons attention. L'importance qu'on a donnée dans les médias à la minorité anti-vaccin, est quasiment disproportionnée par rapport au nombre de gens que ça concerne. Ce qui est vrai aussi, c'est que la pandémie nous a fait basculer dans la civilisation numérique, donc forcément, dans le numérique, il y a autant les 3 ou 4 ou 5 millions de gens tous les jours qui écoutent dans les télés françaises des émissions passionnantes ; on n'a jamais fait autant d'éducation populaire. Et en même temps, on n'a jamais autant développé de réseaux complotistes qui sont des niches où les gens se parlent entre eux parce qu'ils sont d'accord. 

On voit aussi arriver tout un tas de coach personnels, des coachs de vie sur les réseaux sociaux notamment, pour nous conseiller pour tout et pour rien. Est-ce que c'est parce qu'on est perdu à ce point, qu'on a besoin d'être guidé comme ça de plus en plus ? 

Est-ce qu'on n'était pas guidé par son curé ? Rappelez vous qu'en 1936, la gauche n'a pas donné le droit de vote aux femmes parce qu'ils trouvaient que les femmes étaient sous l'emprise des curés. Après, je pense qu'on est une société de liberté de l'individu, on essaye de développer nos capacités, nos joies, etc. Reconnaissons aussi qu'en France on fait très peu de médecine préventive. Nous avons une médecine qui s'est très technicisée, qui nous soigne très bien, mais qui ne nous accompagne pas suffisamment, avant qu'on soit malade ou après. Donc il y a un champ, un espace.

Et puis, si vous regardez la carte de France des zones les plus touchées par ces phénomènes, vous retrouvez une France qui va de là où étaient les babas cool post-soixante-huitards. Il y a des continuités pour des villes comme Forcalquier, etc, et vous avez aussi une surreprésentation géographique, donc ces populations qui sont venues après 1968 ans s'installaient là, y vivre, y faire des enfants, etc, ont développé des discours sur le retour à la nature qu'on retrouve aussi maintenant. 

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