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Le marché de l'occasion : "On est culturellement intégré à cette culture de la protection, de l'économie des moyens, et d'un nouveau rapport à la nature"

"Question de société" avec Jean Viard, sociologue, directeur de recherche au CNRS. On évoque aujourd'hui le marché de l'occasion, en particulier en cette période de Noël, des cadeaux qui à peine déballés, se retrouvent pour beaucoup très vite sur Internet. 

Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
Radio France
Publié
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Ordinateur portable connecté à un site web de petites annonces des cadeaux de Noël. (Illustration) (VINCENT BRUGERE - CELINE ISAERT / HANS LUCAS VIA AFP)

Nous sommes le dimanche 26 décembre. Le repas de Noël à peine digéré, les cadeaux tout juste déballés, certains les ont déjà mis en vente sur Internet, chacun est bien libre d'en penser ce qu'il veut, mais une chose est sûre, le marché de l'occasion se porte bien. 

franceinfo : Aujourd'hui, l'occasion n'est plus seulement réservée à ceux qui n'ont pas beaucoup d'argent et qui ont même du mal à boucler la fin du mois. Ça a toujours été aussi tendance l'occasion ? 

Jean Viard : Non ! Alors ça dépend pourquoi. L'occasion, si vous achetiez une maison ancienne, c'était mieux qu'une maison neuve. Là, c'était plus chic, je dirais d'une certaine façon. Après le marché de l'occasion, moi, quand j'étais jeune, c'était dans les quartiers immigrés, d'ailleurs, quand on était étudiants, on allait dans les quartiers immigrés à Marseille, on allait acheter nos jeans, parce que c'était l'occasion des milieux populaires.

Alors, ça existe toujours, il faut faire attention, mais effectivement, il s'est développé une occasion, j'allais dire anti-consommation, où finalement, c'est devenu élégant, de dire : cette veste, elle a déjà été portée avant moi, c'est-à-dire l'idée que quelqu'un a habité le vêtement, que ce vêtement a donc vécu des amours, des crises, la pluie, le soleil... Au fond, c'est presque comme si c'était un plus. 

C'est chic ?

Oui, je crois. C'est comme les low cost, ou les Dacia. C'est des véhicules plutôt faits pour ceux qui n'ont pas d'argent, mais après, vous avez des gens qui voyagent beaucoup en low cost parce que ça leur permet de voyager beaucoup plus souvent. Les Dacia, c'est pareil. Il y a des médecins qui roulent en Dacia parce que c'est une façon de dire moi, vous savez, la consommation, ce n'est pas mon truc. Tout ça devient des signes dans certains milieux, mais faisons attention que le cœur du processus, c'est évidemment les gens défavorisés, mais il y a une mode.

C'est lié au bio. C'est lié à toute une société qui cherche à consommer moins, et à ce que ça se voit aussi, si vous voulez. C'est une une mise en scène au fond de valeurs, de l'idée que la consommation, il y a une limite. Et vous savez, juste une chose sur le vêtement, moi, j'ai été élu local, et alors on fait des appels d'offres pour les petites cabanes au bord des trottoirs pour récupérer les vêtement usagés. En fait, il y a des appels d'offres. Ça rapporte de l'argent aux collectivités. On loue l'espace. Emmaüs est l'un des grands porteurs de la récupération.

Le relais aussi ? 

Le relais etc... y a des sociétés totalement privées, et en fait, rien ne se perd dans le vêtement, parce qu'il y a une partie qui est remise en circulation, chez nous en Europe, une partie qui habille l'Afrique, et le reste fait de la ficelle. Et donc, c'est mieux que le cochon, d'une certaine façon, 100% est utilisable. 

Vous l'avez dit, c'est lié aussi, forcément un peu à l'environnement. Mais est-ce que pour autant, ça signe la fin d'une société de l'accumulation parce qu'on a l'impression que on achète moins cher et du coup, on n'achète peut être plus ? 

Vous avez effectivement le développement d'une société de la mini-consommation, y compris avec des chaînes comme Lidl, etc. où on fond, là, on va chercher à ce qu'il y ait moins de choix, moins cher, et ça va correspondre à une certaine population. Et puis, vous avez des gens qui vont choisir d'aller chez Lidl parce qu'ils préfèrent à côté voyager en avion, mais c'est marginal.

Par contre, ce qui est vrai, c'est qu'il y a des pratiques sociales, le coeur de la société s'élargit. C'est là où il y a le bio, l'occasion. Voyez les centaines de milliers de gens qui quittent les grandes villes, ils vont aller louer dans des petites villes moins chères. C'est aussi une façon de dire après tout, est-ce qu'on va mettre autant d'argent dans notre logement ? 

Je crois que c'est un mouvement de fond d'une société. Mais on est culturellement intégré à cette culture de la protection, de l'économie des moyens et d'un nouveau rapport à la nature. Et ça, c'est intéressant. Et la pandémie l'a accélérée.

Et ça devient tellement tendance que certaines grandes marques d'automobiles se mettent même à faire de l'occasion. On pense à Renault... 

Mais Renault va faire une usine qui reprendra 100.000 voitures par an. C'est vrai que c'est absurde quand une voiture est usée de la jeter, parce que d'une certaine façon, on peut la réparer. Il y a des endroits qui sont fragilisés, bien sûr. Mais les professionnels le savent. Donc là, ils créent des usines maintenant pour rééquiper les voitures, pour les faire repartir.

On fait aussi de plus en plus de la transformation des véhicules en électrique. Et donc, vous pouvez aller à des endroits où on va vous changer votre voiture à essence. On va enlever le moteur, mettre un moteur électrique, ça vaut pas tellement cher, c'est 5 à 10 000 euros sur les petites voitures. Ça, c'est certainement aussi un créneau d'avenir pour les petites voitures urbaines.

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