La ruée vers la randonnée : "Marcher, c'est important dans le monde d'aujourd'hui, se rappeler qu'on est un animal sur un sol charnel", estime Jean Viard

Une course de plus de 42 kilomètres qui se termine devant Buckingham Palace, le marathon de Londres a lieu aujourd'hui, deux semaines après celui de Paris. La marche, la course à pied, la randonnée, une passion pour les Français.
Article rédigé par Marc Podevin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Couple de randonneurs en montagne. Pour Jean Viard, marcher dans la nature, "ça oblige à une certaine réflexion sur la vie, sur l'existence, sur les histoires qu'on se raconte pour vivre, et bien sûr, sur le paysage." (ASCENTXMEDIA / E+ / GETTY IMAGES)

Moins spectaculaire que les marathons, de nombreux Français font de la randonnée, sur des distances plus ou moins longues. Une question de société décryptée par le sociologue Jean Viard.

franceinfo : Partir, marcher, c'est une passion française ?

Jean Viard : C'est une passion, je pense assez générale, qui se développe. Et je vous rappelle qu'en ville, la marche progresse aussi énormément. De plus en plus de gens se déplacent en ville, et même à Paris, y a un débat sur l'élargissement des trottoirs. Et on se déplace beaucoup plus à pied, en vélo, et bien sûr, on est beaucoup plus nombreux à faire de la marche à pied et du vélo, que de la natation.

D'ailleurs, la randonnée pédestre est la première discipline sportive pratiquée par les Français... 

Tout à fait. Alors après, il y a randonnée et randonnée. Il y a la petite marche à pied, le dimanche midi, en famille où on fait 500 mètres après le repas, pour ce qu'on appelle une petite marche digestive. Il y a les gens qui marchent comme des fous, avec des bâtons, et qui vont à toute vitesse. C'est quasiment de la course, donc il y a plein de façons. La plupart des gens se baladent sur les GR, ils visitent la France, ils font ça pendant leurs vacances ou le dimanche. C'est pour ça que je serais très favorable à ce que la chasse n'ait pas lieu tous les jours, parce que je pense qu'on peut partager le territoire entre ceux qui se promènent, et ceux qui tirent sur les sangliers.

Et c'est vrai que la marche, c'est passionnant, parce qu’à la fois, c'est un rapport évidemment avec son propre corps. On sait qu'on lui fait du bien, qu'on fait travailler plein de muscles. C'est important parce qu'il y a la nature autour de soi, donc on est en osmose avec cette nature, mais c'est aussi amical, c’est-à-dire que la plupart des gens marchent en couple, ou en famille. Donc c'est aussi le triomphe de l'amitié. Et puis, il y a évidemment tous ces gens qui courent, mais eux, ils courent, alors on ne les compte plus dans nos statistiques, c'est encore autre chose.

Au fond, le parcours du territoire, le fait de sentir, là il y a des pierres, là il n'y a pas de pierres, le sol est souple, le sol est dur. On redevient au fond un peu préhistorique, si on peut dire les choses comme ça. Donc, c'est une façon d'être un être humain, un animal sur un sol charnel. Et je crois que ça, c'est important dans le monde d'aujourd'hui, de se rappeler qu'on est un animal sur un sol charnel.

La marche traduit également une aspiration à une vie moins effrénée, qui laisse la place au temps long, à la contemplation aussi ?

Mais tout à fait. Alors ça me rappelle Du bon usage de la lenteur, de mon ami Pierre Sansot On a besoin de temps lent. On est dans une société où on travaille vite, le numérique nous met sous stress, ça sonne machin, l'écran et tout ça. Et donc on a besoin de ralentir, on a besoin en plus de ralentir dans la nature. Et c'est pour ça aussi qu'il y a de plus en plus de gens qui marchent. En plus, il y a des marches qui ont du sens, regardez les gens qui font le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.

Très fréquenté !

Très fréquenté. Si vous faites le chemin de Saint-Jacques, même sans vraiment avoir un lien religieux, vous savez que c'est un lieu symbolique de l'histoire du christianisme. Vous savez qu'il y a eu des millions de gens avant vous qui sont allés à Saint-Jacques de Compostelle. Donc, ça oblige à une certaine réflexion sur la vie, sur l'existence, sur les histoires qu'on se raconte pour vivre et bien sûr, sur le paysage. Et je pense que tout ça s'inscrit dans une même histoire. Peut-être que c'est un rapport laïque à la nature et au territoire, mais ce rapport laïque est chargé de la mémoire du religieux.

La marche qui ne se départit pas, selon vous, d'une dimension spirituelle ?

Utiliser son corps, c'est une forme de dimension spirituelle. Nous ne sommes pas que des objets servant à travailler ou à se reproduire. On est aussi plongés dans la nature, hier on parlait du jardin, aujourd'hui on parle de la marche, mais c'est un peu la même chose. On a trop tendance à faire comme si les gens étaient enfermés dans le béton de la ville.

La France est un pays magnifique. La plupart d'entre nous avons des espaces extérieurs, ou alors on peut sortir pour aller marcher et ça, c'est quand même extraordinaire. Je trouve qu'on ne dit pas assez que la France est un immense territoire naturel, extrêmement puissant, en plein développement. La forêt progresse énormément, les espaces naturels progressent, et je pense que les gens y vont de plus en plus, aussi, pour ce rapport très charnel et peut-être un peu nationaliste avec notre territoire patrimonial.

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