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La place des aînés en France : "On ne pense pas le territoire des retraités et on ne pense pas de leur utilité, il faut reconstruire autour d'eux"

Après les révélations de maltraitance des personnes âgées dans des maisons de retraite du groupe Orpea, le gouvernement va prendre des mesures pour renforcer les contrôles dans les Ehpad, a appris franceinfo vendredi 28 janvier de sources gouvernementales. Le troisième âge en France, c'est plus que jamais une "Question de société".

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
"On n'a aucune réflexion sur une société de personnes âgées", souligne le sociologue Jean Viard. Illustration  (HINTERHAUS PRODUCTIONS / STONE RF / GETTY IMAGES)

L'affaire Orpea ou les révélations cette semaine d'un journaliste sur les conditions de vie et d'accueil des résidents de maisons de retraite de ce grand groupe remet bien sûr sur le devant de la scène, cette question fondamentale du troisième âge de la vie de nos aînés en France. Le patron des maisons de retraite Orpea est par ailleurs convoqué mardi 1er février, par la ministre déléguée à l'Autonomie des personnes âgées,  Brigitte Bourguignon. Décryptage avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS.

franceinfo : Ce n'est pas la première affaire de ce genre Jean Viard. Est-ce qu'elle en dit long sur le sort que nous, Français, réservons à nos aînés ? 

Jean Viard : Oui, je crois que cette affaire en dit long. Il y a deux sujets. Il y a les handicapés. Nous ne savons pas traiter la dépendance. On ne sait pas traiter les handicapés. On ne sait pas faire rouler une personne dans une chaise à roulettes dans une rue à Paris. On ne sait pas faire circuler dans la ville un sourd. On est nul pour les 2,4 millions d'handicapés et ça fait partie du débat présidentiel, il y en a qui veulent les mettre encore plus à l'écart.

Mais ne confondons pas. A côté de ça, on va avoir 20 millions de retraités. Il faut qu'on ait une réflexion. C'est comme la jeunesse après 1945 :  on a un nouveau groupe social de 20 millions de personnes, qui ont une retraite très tôt, mais on ne discute jamais de l'allongement de la vie.

La bonne nouvelle, c'est que la vie s'allonge. La mauvaise nouvelle, c'est qu'on n'a pas de projet. Et donc, du coup, il faut réfléchir. Qu'est-ce qu'on fait de ces 20 ans en plus ? Et ces retraités, qu'est-ce qu'ils font ? Mais ils font l'essentiel des élus locaux. Ils font l'essentiel des administrateurs d'associations. Ils font l'essentiel des maraudes la nuit, pour les sans domicile fixe. Ils font l'essentiel des gardes d'enfants en complément des familles, etc.

Donc, on doit avoir une pensée de l'utilité de ces retraités. On n'arrive pas à en discuter. Le président Hollande avait promis une loi grand âge. Il l'a pas fait. Le président Macron a promis une loi grand âge. Il l'a pas fait. Parce qu'il ne faut pas discuter de l'âge de la retraite, il faut discuter de qu'est-ce que c'est que ces 20 millions de Français, à quoi ils servent, et comment on pense leur intégration dans la société ?

Quand un fonctionnaire est nommé, est-ce qu'on se renseigne sur où habitent ses parents pour qu'il puisse s'en occuper ? Pas du tout. Vous passez le CAPES, on vous envoie à l'autre bout de la France, et vos vieux parents, personne ne s'en occupe. Vos grands-parents pourront pas vous aider pour vos enfants... Les HLM, est-ce qu'on dit : attendez, il y a 1 million 800 000 mamans seules avec des enfants. Est-ce qu'on dit : elles sont prioritaires pour habiter à côté de leurs parents ? Pas du tout. On ne pense pas le territoire des retraités et on ne pense pas de leur utilité. C'est le grand groupe de l'avenir de nos sociétés. Il faut reconstruire autour d'eux. 

Alors là, vous avez beaucoup parlé aussi des retraités actifs qui ne sont pas encore tombés dans la dépendance puisqu'il y a la question de la bonne santé, l'âge de la retraite en bonne santé. Et puis, quand malheureusement, la santé se détériore et qu'on doit notamment en arriver à entrer dans des EHPAD ou des maisons de retraite, à cet égard, quel est le modèle français entre le maintien à domicile, les maisons de retraite, la place des aidants, etc. ? 

Le modèle français, c'est le maintien à domicile, avec le fait que le vrai problème dans ces institutions comme celles dont on parle, on voit tous qu'il y a aussi des questions d'argent. Celles qui coûtent très cher, ça c'est le luxe des beaux quartiers, entre 6.000 et 10.000 euros. 

Une place en maison de retraite, c'est autour de 2.000 euros. Un peu plus, un peu moins, l'essentiel des maisons de retraite sont associatives ou municipales.

Mais c'est beaucoup, vu le niveau de beaucoup de retraites ? 

C'est beaucoup vu le niveau des retraites. C'est pour ça qu'une bonne partie des gens, en fait, on leur fait perdre leur héritage, parce qu'on dit : bon ben très bien vous ne pouvez pas payer ça, on prend une option sur votre maison et donc, en fait, l'héritage des milieux populaires est en partie pompé par la retraite, par la fin de vie. Il y a des milieux où, en gros, il n'y a plus d'héritage à la mort, parce que ça a servi à payer le séjour en maison de retraite.

Mais après, le rêve des Français, c'est de mourir chez eux, la plupart le font. Donc le problème, c'est autant l'assistance à domicile, les soins à domicile, le paiement de ces gens. On n'a aucune réflexion sur une société de personnes âgées. On a une espérance de vie en bonne santé qui est autour de 62 ans. Alors après, c'est des petits handicaps qui apparaissent, mais on n'a aucune culture de la prévention de ces petits handicaps. Donc du coup, on a aussi des personnes âgées plus dépendantes que dans d'autres pays d'Europe.

Donc, c'est une question globale du respect des personnes âgées, de les remettre, je dirais, au sommet des valeurs des sociétés, ce qui est le cas dans les sociétés traditionnelles, et puis de réunifier les familles dans le territoire quand elles le désirent, ce qui n'est pas du tout une politique publique.

On a un contrôleur général des prisons qui vérifie à peu près les qualités de vie, alors qu'elles sont épouvantables. Mais on n'a pas de contrôleur général des situations de personnes âgées. Or, il y en a qui sont municipales, départementales, associatives, privées, privées spéculatives, privées non spéculatives. La moindre des choses, c'est qu'il y ait un corps de contrôle.

En France, il y a 1 maison de retraite sur 10 qui est visitée une fois par an, et généralement, c'est prévu 3 mois à l'avance, donc, vous voyez comment effectivement, les maisons ont le temps de s'adapter à la visite...

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