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Journées du patrimoine : "La question, ce n'est pas seulement de restaurer le patrimoine, c'est de lui trouver un usage moderne", souligne Jean Viard

Les Français et leur patrimoine, leur patrimoine architectural, culturel et historique, celui qui est mis à l'honneur aujourd'hui avec les Journées européennes du patrimoine, c'est le thème de notre rendez-vous. 

Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le Hangar Zéro au Havre, ou la seconde vie des friches industrielles. Le Hangar Zéro s’affiche comme un tiers-lieu de la transition écologique et citoyenne fait par et pour les habitants. Aujourd’hui, près de 350 sociétaires se partagent la gouvernance du hangar. (MINISTERE DE LA CULTURE / ASSOCIATION LH-zéro)

Avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, Question de société évoque aujourd'hui les traditionnelles journées consacrées au patrimoine en Europe. Il y a donc des milliers de lieux ouverts au public, gratuitement ou à tarif réduit, avec de 10 à 15 millions de visiteurs chaque année en un week end.

franceinfo : Comment est-ce que vous expliquez cet engouement, cet énorme succès ?

Jean Viard : La France a beaucoup cassé de châteaux et d'églises avec la Révolution, et ensuite il y a eu ce qu'on a appelé la Restauration. Mais la Restauration, ça vaut pour un meuble comme pour le régime politique. On a restauré vers 1815, et petit à petit, on s'est mis à avoir une politique de reconstruction des églises et des châteaux qui avaient été détruits. On a une tradition très ancienne parce qu'on a beaucoup cassé.

Et en 1837, il y a eu la loi du classement : 45.000 lieux classés. Et puis avec le gaullisme, on a dit au fond, la beauté est supérieure à la propriété. Quand un bâtiment est classé, on ne peut plus le détruire. Mais un lieu beau, par exemple, la pointe du Raz ou le Mont Blanc, le gaullisme a dit : même si c'est à vous, vous ne pouvez pas le démolir. Et donc on a fait les parcs, les réserves, on a élargi tout ce qui devait être protégé à des tas de lieux naturels.

Et comme la France est le premier pays touristique au monde, en fait, on a énormément entretenu et restauré. Vous allez dans n'importe quel village, le vieux lavoir, il a été restauré. On est l'un des rares pays au monde où des touristes, il y en a absolument partout. On a intégré aussi le patrimoine industriel à partir des années 70. 

Après, je crois qu'il y va y avoir à peu près15 millions de Français qui vont suivre ces journées du patrimoine. Quelque part, on va "chez nous". Ce qui est compliqué, c'est qu'on est un pays très républicain et honnêtement, ce qu'on visite, c'est beaucoup des églises et des châteaux. C'est un peu comme le rapport qu'on a avec la reine d'Angleterre, d'une certaine façon, il y a là une espèce de quête d'une racine, une tradition et de la beauté : ça nous confronte à la beauté des monuments, des jardins, les jardins, il y en a de plus en plus qui sont classés.

Si vous regardez le nombre de gens qui rentrent dans les églises, la plupart ne sont pas croyants. Mais ils admirent l'art roman ou l'art gothique, des œuvres d'art magnifiques. Il y a toute cette culture dans un pays reconstruit sur le tourisme, donc on est habitué à visiter ces lieux et là, ça va faire un grand week end, j'allais dire de vacances, sur place. 

Des journées qui ont pour thème "le patrimoine durable". Des experts expliquent que le patrimoine, c'est un très bon guide pour la transition écologique parce qu'on a su souvent le conserver, le transmettre, le recycler ; des couvents sont devenus des prisons, des palais ou des gares transformés en musées. Est-ce que vous partagez cette idée ? 

C'est une idée très importante. Avant, honnêtement, le patrimoine, c'était des carrières de pierres et pour les gens, un château, on allait prendre des pierres pour faire sa maison. Dans plein de villages,dès que vous voyez une porte magnifique dans une petite maison toute simple, ils sont allés la piquer au château d'à côté avant que ça soit classé. C'était ça le patrimoine, c'était des carrières. 

La question pour nous aujourd'hui, c'est que depuis la révolution industrielle, on a eu l'impression qu'on était tellement plus puissant que la nature qu'on pouvait tout transformer. Mais la vraie nouvelle pensée, c'est de se dire comment l'humanité va prendre soin du monde, et comment le nouveau projet de l'humanité, c'est de prendre soin de la nature. On a acquis depuis 1837 cette politique de restauration, de protection, mais aussi d'utilisation, parce que la question, ce n'est pas seulement de restaurer le patrimoine, c'est de lui trouver un usage moderne, on ne va pas remettre des ducs dans les châteaux.

Par contre dans le château, on peut faire un événement culturel, de l'hébergement de réfugiés, des tas d'activités. On voit bien quel doit être le monde de demain. C'est un monde qui prend soin de la nature plutôt que de la dominer. Ça, c'est la rupture fondamentale. Mais en même temps, pour créer de nouveaux usages avec des choses anciennes, je trouve que c'est très bien, cette idée de patrimoine durable, dans cette logique.

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