"Il y a un nouveau rapport à l'alcool, on est dans une logique de qualité plutôt que de quantité", selon le sociologue Jean Viard
Toutes les études le montrent, la consommation de vin a diminué ces dix dernières années et les professionnels du secteur, qui se réunissent à partir de demain et jusqu'à mercredi à Paris pour le salon Vinexpo, le savent bien. Même si l'alcool est à consommer avec modération, cela pose question sur un plan économique.
franceinfo : Jean Viard, pourquoi boit-on moins de vin en France ?
Jean Viard : D'une part, la consommation baisse, mais se mondialise : il y a donc le vin que nous consommons en France et le vin qu'on vend sur le marché mondial. D'autre part, on ne boit pas que du vin : 44 litres de vin par an et par Français, pour 33 litres de bière. La jeunesse en particulier apprécie la bière, et notamment les bières locales. Et la majorité des Français disent préférer la bière au vin, à 51 %. On peut aussi ajouter que dans les restaurants, on vous sert le vin au verre. Moi, quand j'étais jeune, on me mettait une bouteille sur la table. Il y a là une évolution notable.
Certes le vin est un pan économique important, avec 85 000 vignerons. Mais on assiste à un nouveau rapport à la consommation, à l'alcool. On a intégré depuis longtemps déjà le fait de ne plus boire quand on conduit. Mais en même temps, il y a peut être des moments où on boit beaucoup. Les jeunes participent à des soirées alcooliques et ne boivent plus du tout pendant un mois ! Nos plaisirs, nos pratiques ludiques ont vraiment changé.
Si on évoque les jeunes trentenaires, peut être aujourd'hui veulent-ils aussi consommer moins mais mieux. Un peu comme pour la viande ?
Oui, on est dans une logique de qualité plutôt que de quantité, dans plein de produits ; c'est vrai aussi pour le vêtement. Il y a la pression d'une culture plus naturelle et plus écologique, qu'on partage. Je ne dis pas qu'on va tous devenir vegan, mais on réfléchit à manger moins de viande, peut être plus de légumes, on va boire plus d'eau et moins de vin mais du bon, etc.
Et puis on est dans une société où on se bat pour le soin de son corps. Je sais qu'en ce moment, on parle beaucoup de lutte pour la santé. L'augmentation de l'espérance de vie, c'est absolument phénoménal : on a gagné 20 ans depuis la guerre. On a envie de rester beau et jeune, j'allais dire jusqu'à la fin, même si cela parait absurde. Donc du coup, on va être plus mince, on fait du sport, on fait du jogging et toutes ces activités physiques pour rester en forme alors qu'on a des métiers très souvent bureaucratiques. Tout cela entraîne un nouveau rapport au corps et à ce qu'on met dedans : à ce qu'on mange et à ce qu'on boit.
Est ce que cela ne va pas aussi avec notre conception du repas, ce moment de convivialité qui a changé, lui aussi, au fil des années parce qu'on fait tout un peu plus vite ?
Vous avez raison. Notons aussi que le vin est interdit dans les entreprises, dans les restaurants de l'entreprise, or la majorité des Français ne mangent pas chez eux à midi. Et puis il y a beaucoup de gens qui mangent devant la télé, sauf le dimanche. Il y a évidemment un nouveau rapport à la nourriture, au fait de partager un repas. C'est un élément extrêmement central. Je suis absolument d'accord avec vous, mais en plus, je pense que le vin a petit à petit rejoint le monde du luxe. Le problème est de savoir comment on va arriver à mieux vendre le vin, mais aussi le champagne ou le cognac, alors que ces produits sont sérieusement concurrencés. Regardez le Prosecco, moins cher mais légèrement moins élaboré que le champagne. Là, on est en danger.
Le dernier livre de Jean Viard :
Un juste regard, aux Editions de l'Aube.
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