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Guerre en Ukraine : "Les guerres font partie de la dynamique des sociétés comme les pandémies, le problème c'est de les anticiper, pour qu'elles essayent de ne pas avoir lieu", souligne Jean Viard

La semaine qui arrive va marquer la première année de guerre en Ukraine. Cette guerre a bousculé certaines de nos certitudes, sur la paix et sur la solidité de nos démocraties. Le sociologue Jean Viard souligne que cette guerre "met fin à quelque chose qui durait depuis à peu près 70 ans".
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
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Ukraine, 18 février 2023. Des militaires de l'unité ukrainienne Vedmak patrouillent dans le blizzard, le long de la ligne de front, près de Bakhmut. (YASUYOSHI CHIBA / AFP)

Jean Viard, sociologue et directeur de recherche au CNRS décrypte aujourd'hui l'année de guerre qui vient de s'écouler en Ukraine, et ses implications pour l'Europe et le monde. Vendredi 24 février 2023, cela fera exactement un an que les troupes russes sont entrées en Ukraine, et que des déluges de missiles, de bombes ont dévasté ce territoire, sans compter des milliers de mines antipersonnel, disséminées dans tout le pays. La semaine qui arrive va marquer la première année de guerre en Ukraine. Un conflit qui a bousculé nos certitudes sur la paix et sur nos démocraties.

franceinfo : Est-ce que cette guerre met fin à une forme d'insouciance en la matière ? 

Jean Viard : Mais elle met fin à quelque chose qui durait depuis à peu près 70 ans. Entre temps, il y avait quand même eu l'Algérie, Il y avait quand même la Yougoslavie, mais en gros, c'était l'idée que les guerres – et c'était vrai aussi pour les pandémies  – c'était un peu pour les pays pas très développés, si je suis un peu caricatural. Quand il y a des guerres en Érythrée, des guerres au Congo, bon, on regarde ça de loin, alors qu'il y a quand même eu 5 millions de morts au Congo, sans parler du Rwanda. Au fond, l'idée c'est que nous, on en était sorti de cette période, grâce à l'éducation, le progrès technique, etc, et c'est au fond toujours la même erreur.

C'est toujours cette idée que quand on se développe, qu'on va à l'école, qu'on est harmonieux, on ne va plus s'entretuer. La réponse est NON. Les guerres font partie de la dynamique des sociétés comme les pandémies. Et le problème, c'est de les anticiper, pour qu'elles essayent de ne pas avoir lieu. Et en plus, en Europe, ce qui est très compliqué, c'est que vous avez des pays comme l'Allemagne, qui sont des disciples de Kant, et qui pensaient que le "doux commerce" allait tout à pacifier. Regardez les rapports qu'ils ont développés avec la Russie, pour essayer d'apaiser les tensions avec Monsieur Poutine, en pensant que le commerce était le début du processus démocratique. On a pensé ça aussi pour la Chine, jusqu'à la place Tiananmen.

On se dit : on va faire des échanges, on fait du commerce, les gens vont vivre mieux, ils auront envie de voyager, ils n'auront plus trop envie d'une dictature. Et donc là, on se rend compte que la guerre fait partie des sociétés. On pourra peut-être éviter la guerre, mais on ne pourra pas éviter de s'y préparer, ce n'est pas la même chose, et surtout d'être mentalement prêt au combat. Ce que les Ukrainiens nous montrent merveilleusement. La façon de se défendre contre l'agression russe, la façon dont ils montent en pression, j'allais dire, les filles, les garçons, etc, c'est absolument extraordinaire. Ça redonne un "commun" puissant à l'Ukraine.

Cette guerre est une tragédie, je ne vais pas en faire l'éloge, évidemment, mais en même temps, l'Europe est en train de se dire qu'elle ne peut pas être une puissance, s'il n'y a pas des armées, si on ne fait pas peur, et si on ne dit pas à certains voisins totalitaires, que ce soit la Russie, parfois la Turquie ou la Chine : attention, on va compter dans les combats. Et donc à ce moment-là, évidemment, le but est bien évidemment de revenir à la paix par cette puissance.

Vous parlez de la force de l'Europe, de sa cohésion. Mais c'est ces pénuries, cette flambée des prix du gaz, de l'électricité, ça a relancé un discours sur l'indépendance des pays ? 

Oui, mais alors, je crois qu'il faut dire aux gens qui veulent aller vers ça : tournez-vous un petit peu vers l'Angleterre, regardez ce qui se passe avec le Brexit, regardez les tensions entre les différentes régions de la Grande-Bretagne. L'Angleterre, c'est une fédération. Rendez-vous compte de l'effondrement économique de l'Angleterre, et le fait qu'actuellement, plus de 60% des Britanniques rêvent de revenir dans l'Europe. L'Europe s'est imposée comme une puissance. Il peut y avoir des discours sur ce que l'on met en commun. Je crois que le Brexit a fédéré l'Union européenne pour quelques décennies. 

Les images de chars, de soldats mobilisés, ce bras de fer entre un Poutine rigide, fermé, et un Zelensky en treillis, ça donne aussi le sentiment que la guerre, c'est une histoire d'hommes musclés, un peu à contre-courant des discours actuels. Ça aussi, ça a bousculé quelques images ? 

C'est vrai que la guerre, c'est une culture masculine et que ça a toujours été une culture masculine. Je ne dis pas que ça le sera toujours, mais les femmes ont un rôle essentiel. D'abord, il y en a qui sont au combat, les autres travaillent pour nourrir les soldats, s'occuper des enfants, etc, donc il y a un rôle important, mais c'est vrai que cela renvoie à des positions un peu traditionnelles. D'ailleurs, la plupart des réfugiés ukrainiens qui ont quitté l'Ukraine, ce sont souvent des mamans avec des enfants, et les hommes, souvent, sont au combat.

Alors, est-ce que ça nous renvoie à une structure historique des fonctions sociales ? Certainement. Est-ce que ça va les renforcer, parce qu'au fond, ça remet le côté de l'homme-soldat et de la femme-maman, qui est un peu la caricature historique ? Il y a tous ces sujets, mais c'est vrai que ça donne cette image-là et qu'il faut y faire très attention. Je crois qu'effectivement il faut se dire que la violence, c'est n'est pas que les hommes, et que c'est important que la violence collective soit maîtrisée par tout le monde, y compris justement pour ne pas l'utiliser.

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