Fin de vie : pour Jean Viard, "la France a un saut à faire dans le monde moderne, dans les questions éthiques, scientifiques et industrielles"

On l'a appris cette semaine, la loi sur la fin de vie sera présentée en décembre en Conseil des ministres. C'est quelques mois plus tard que prévu. Décryptage de cette question de société avec le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le ministère de la Santé estime que 272 500 patients sont atteints de la maldie de Parkinson en France. (XESAI / E+ / GETTY IMAGES)

Le calendrier est enfin fixé, la loi sur la fin de vie sera présentée en décembre, en Conseil des ministres, c'est plus tard que ce qui était prévu. Il y a eu une convention citoyenne sur le sujet avant cela. Et c'est maintenant Emmanuel Macron et le gouvernement qui ont les cartes en main, qui vont arbitrer. Ce qui est permis aujourd'hui, on va le rappeler, c'est la sédation profonde et continue d'un patient qui est en phase terminale. Mais pas d'euthanasie, pas de suicide assisté.

franceinfo : Est-ce qu'il y a, selon vous, besoin de changer la loi ?

Jean Viard : J'allais dire le peuple le demande. Les chiffres sont manifestes. Il y a quatre 87% des gens qui veulent créer un débat à l'Assemblée nationale. Il y a 93 % qui demandent effectivement le droit de mourir dans la dignité. Les chiffres sont énormes. Il y en a 69% qui pensent qu'il faut abroger la loi, actuellement à l'œuvre.

Au fond, on a massivement envie de se protéger contre la souffrance et, au fond, de choisir notre fin de vie, ce qui est plus facile d'ailleurs à faire quand on n'est pas sur l'objectif, si je peux dire, et on voit bien que les gens très, très âgés parfois, c'est une autre question que quand on est plus jeune.

Et puis il faut dire en même temps qu'on est dans un pays très conservateur, y compris que le corps médical n'a pas forcément envie de faire ce genre de choses. Sur le thème "Nous, on est là pour sauver la vie". Et donc il y a un basculement sur comment on est là pour soigner les gens, et les accompagner jusqu'où. Et là, il y a un changement culturel profond.

Le problème de la France, c'est que sur tous ces sujets, d'éthique et de morale, on est un pays horriblement conservateur, et c'est pour ça que lorsqu'on compare avec ce qui se passe en Suisse, en Belgique notamment, beaucoup de Français du coup, qui vont finir leur vie en Suisse et en Belgique, on se rend compte qu'il y a un écart gigantesque.

Et ce qui est très surprenant, c'est qu'au fond, l'opinion publique est très unanime. Mais ce sont aussi bien le corps médical, souvent peut-être pas toujours, mais quand même beaucoup, et puis surtout, nos décideurs, nos institutions, qui sont très conservateurs. Il y a un écart entre le peuple et les élites. Moi, c'est comme ça que je lis la situation.

Et comment expliquer que la France soit beaucoup plus conservatrice que ses pays voisins ?

Ce n'est pas évident à expliquer franchement, parce que je pense que c'est sans doute lié à notre système politique, très hiérarchique, avec effectivement un président de la République très omniprésent. Et d'une certaine façon, il y a un corps d'État, des grandes écoles, qui sont des corps constitués, très forts. Il y a peu de diversité dans les gens qui nous gouvernent. Il y a toutes ces raisons qui font qu'on dirait qu'on est toujours la France catholique des années 50.

Or on n'est plus cette France-là, les religions n'ont plus du tout la même importance, mais quelque part, elles sont toujours très présentes dans les institutions et les appareils d'État. La France a un saut à faire dans le monde moderne, mais c'est vrai aussi bien dans les questions éthiques, dans les débats scientifiques, dans la réflexion sur la transformation des industries, etc.

Ce pays est encore dans l'idée que le monde de demain doit ressembler au monde d'hier, un petit peu transformé, alors que peut-être qu'il a profondément changé, et que d'autres pays le font plus que nous, des pays autour de nous qui, a priori, nous ressemblent plutôt beaucoup. Et la France n'y arrive pas.

L'arbitrage principal à venir d'ici décembre, c'est la création ou pas d'une aide active à mourir. Et il y a cette hypothèse sur la table du suicide assisté. Le suicide, c'est un objet d'étude sociologique. C'est aussi quelque chose de très tabou qu'on rattache à la sphère de l'intime. Et ce que ça pèse, ça, sur ce débat autour de la fin de vie ? 

C'est un sujet dont on ne veut pas parler, comme si on en avait honte, comme si ce n'était pas un sujet. Ben oui, protéger les gens du risque de suicide, notamment les adolescents, dans les grandes crises de leur vie, où les gens après un décès, on sait très bien que le survivant peut être fragile. Donc ça nécessite d'anticiper, donc d'avoir des politiques de soins et de former des gens pour ça.

C'est un enjeu de société. Le rôle des institutions, le rôle des familles, c'est d'étudier, de protéger, notamment les gens en bonne santé, et d'aider ceux qui voient la fin arriver et qui n'ont pas envie de souffrir, qui ont envie d'autonomie dans le suicide.

En Belgique, il n'y a pas que la situation de souffrance, il y a aussi la grande souffrance psychologique, des gens qui se retrouvent tout seuls, qui sont très vieux, qui n'ont plus personne à qui parler, pour qui la vie n'a, au sens, c'est reconnu comme une cause légitime de suicide, en Belgique. Ce n'est pas que la grande souffrance physique, c'est aussi la grande souffrance psychologique.

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