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Exode urbain : "Il y a des crispations à certains endroits mais ça fait 20 ou 30 ans que la population des campagnes et des petites villes augmente"

Des rassemblements ont lieu ce weekend à Saint-Malo et dans d'autres villes de Bretagne et de Loire-Atlantique pour protester contre la pression immobilière excessive, conséquence des locations touristiques, mais aussi des achats de résidences secondaires qui se multiplient et de l'exode, plus généralement des urbains. 

Article rédigé par franceinfo - Marc Podevin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La pandémie a accéléré l'exode urbain, mais les grandes villes perdent des milliers d'habitants depuis 20 ou 30 ans, selon le sociologue Jean Viard.  (CEMILE BINGOL / DIGITAL VISION VECTORS / GETTY IMAGES)

Avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, on évoque aujourd'hui les manifestations et rassemblements de ce weekend du 20 et 21 novembre en Bretagne et en Loire-Atlantique, rassemblements contre la pression immobilière excessive en Bretagne, pression qui est notamment la conséquence des locations touristiques, mais aussi des achats de résidences secondaires qui se multiplient et de l'exode urbain.

franceinfo : Qu'est-ce qui explique cet exode urbain ?

Jean Viard : Si vous voulez, je pense que cette pandémie a bousculé nos sociétés d'une façon absolument incroyable. Et au fond, on n'a qu'à se dire qu'on a tous été malades. Il y en a qui ont eu le Covid évidemment, on est resté enfermé chez nous, on a réfléchi sur la vie, etc. et au fond, on est en train de se réveiller, un peu comme quelqu'un qui aurait eu un cancer et qui se dit : je suis guéri, qu'est-ce que je fais du temps qu'il me reste ? 

On estime qu'il y a 4 ou 5 millions de gens qui ont déjà déménagé. Il y en a 10 à 15% qui se posent la question, mais c'est pareil dans les ruptures amoureuses, il y a un million de couples qui ont explosé, etc. Il y a des tas de salariés qui ont démissionné. Au fond, la question, c'est  : quel est le sens de la vie que je mène, avec qui je la mène, où j'habite, comment j'élève mes enfants, est-ce que vraiment ça vaut la peine de travailler autant, est-ce que je ne pourrais pas travailler un peu moins, quitte à vivre avec un loyer plus bas, par exemple ? C'est ça qui se pose.

Vous avez plusieurs millions de Français en cours de déplacement, le long des voies de chemin de fer. L'année dernière, on a vendu 800 000 résidences secondaires, mais je ne sais pas lesquelles seront habitées toute l'année, à la fin. Et de même que les 3 millions et demi de résidences secondaires qu'il y avait avant en France, il y en a certainement des dizaines de milliers qui en fait vont être habitées à l'année. Et les gens vont dire : j'irai à Paris, à Marseille ou à Lyon deux jours par semaine. Tout ça est en plein bouleversement.

Et au fond, on a compris une chose pendant la pandémie, c'est que les grandes métropoles, c'est un lieu génial de carrefour, de rencontres, de business, etc. Mais au fond, on n'est pas obligé d'y habiter. Et donc, je crois que c'est cette idée-là qui est en train de s'organiser dans l'espace.

Et quelles conséquences pour ceux qui voient ces urbains arriver ? 

Il y a deux choses parce que quand ils arrivent, ils achètent ou ils louent. Donc, il y a des gens qui sont contents, c'est ceux qui vendent ou les propriétaires. Et puis, de l'autre côté, il y a des gens locaux qui peuvent trouver qu'il y a des concurrences, ces urbains ont plus d'argent parce qu'ils sont souvent payés sur le salaire des grandes villes, qui sont plus importants que les salaires des petites villes ou des campagnes. Donc, il y a des concurrences.

Après, si vous voulez, il faut faire attention. C'est un mouvement ancien de la société française. Ça fait 20 ou 30 ans que la population des campagnes et des petites villes augmente, pas partout, il y a des endroits qui ne marchent pas. C'est pour ça qu'il ne faut pas trop généraliser. Mais en gros, quand même, ça fait 20 ou 30 ans que c'est comme ça. Regardez Paris :  Paris perdait 10.000 habitants par an depuis les cinq dernières années déjà. Donc, le mouvement était déjà là, de recherche d'un art de vivre où on voit la nature, on voit la campagne, on a un jardin où les enfants jouent au ballon. Et c'était déjà là.

Au fond, la pandémie a accéléré ça, et donc il y a des concurrences. Je pense que c'est surtout violent dans des territoires à forte autonomie culturelle, par exemple le Pays basque. Je pense que ça peut jouer dans certains coins de Bretagne, dans des endroits où les gens se disent mais bon, s'ils arrivent trop nombreux quelque part, on n'est plus chez nous. Dans la vraie vie, la société française est extrêmement brassée. Il faut toujours se dire que 50% des gens ne vivent pas dans le département où ils sont nés, à peu près la moitié de la population, et en plus, ceux qui vivent dans le même département ont souvent déménagé. Ne faisons pas trop une caricature d'une province où tout le monde serait là depuis 14 générations et des grandes métropoles interlopes, louches. C'est pas comme ça que ça marche, mais il y a des crispations à certains endroits. Il peut y avoir aussi des utilisations politiques en période électorale. 

Vous pensez à quelle utilisation, par exemple ? 

C'est des discours identitaires qu'on entend au niveau national sur la place de l'immigration, on peut très bien avoir, je dirais, des identitaires restés locaux qui vont au fond tenir le même discours. C'est pour ça qu'il faut faire attention. C'est un peu dangereux. Sur les enquêtes nationales, par exemple, il y a 60 ou 70% des gens qui vous disent qu'il y a trop d'étrangers. Mais quand le cabinet Elabe a travaillé là-dessus, ces chiffres viennent de leurs études, il n'y a que 20% des gens qui trouvent qu'il y a trop d'étrangers là où ils habitent. Vous voyez, si on vous pose la question abstraitement, c'est une chose mais dans la vraie vie quotidienne, c'est une petite minorité. Je crois qu'il faut bien avoir ces chiffres dans la tête pour ne pas trop faire donner d'importance au phénomène. 

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