Coupe du monde 2022 : "Il faut sauver les plaisirs de la vie, créer du commun et ça, ça n'a pas de prix", estime Jean Viard
La Coupe du monde de football au Qatar commence ce dimanche 20 novembre. Quel est l'intérêt et quels sont les enjeux d'un tel évènement planétaire ? Le décryptage du sociologue Jean Viard.
FranceInfo va suivre cette aventure sportive de la Coupe du monde 2022 qui commence ce dimanche 20 novembre, mais franceinfo va aussi couvrir et analyser bien sûr les enjeux sociétaux de cet évènement. Une Coupe du monde très décriée. Mais quelles sont les vertus pour l'humanité de telles grands messes, d'un tel évènement planétaire ?
Un million de visiteurs sont attendus au Qatar, des vols d'avions en pagaille, des constructions pharaoniques, des droits de l'homme bafoués, sans parler du calendrier footballistique aussi complètement chamboulé, pour éviter les fortes chaleurs de l'été. L'éclairage du sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS.
franceinfo : En quoi un tel remue-ménage au nom du football est il bénéfique ?
Jean Viard : Que ce soit au nom du football, au nom des Jeux olympiques, etc, c'est normal de regarder les conséquences négatives et de voir si on aurait pu faire autrement. Mais après, l'humanité est en train de se construire comme humanité. Pendant la grande pandémie, on a été 5 milliards à avoir les mêmes comportements. Avant la pandémie, il y avait presque 1 milliard et demi de touristes internationaux, et on va très vite arriver à 2 ou 3 milliards. Pourquoi c'est important ? Parce que la crise climatique que l'humanité a induite, et notamment l'humanité des pays du Nord, cette crise a besoin d'une bagarre commune.
La guerre climatique, c'est un commun, et donc ce commun a besoin de vivre, d'avoir des émotions, que ce soit des émotions artistiques, parce qu'on regarde les mêmes films, parce qu'on lit les mêmes livres, parce qu'on a des leaders qui nous fascinent, que ce soit Mandela, en Afrique du Sud, Lula au Brésil, etc. Donc on a besoin de ce commun et de le construire comme objet culturel, et c'est essentiel. Et le sport est un des grands moments de cette construction, notamment parce que c'est populaire, et là, c'est la première Coupe du monde dans un pays arabe. Tout ça, c'est des plus importants.
Après, ça aurait pu être négocié autrement. Le monde a changé, bien entendu. Je crois qu'il faut dire les choses sur le positif, et un peu arrêter de systématiquement critiquer, de donner le nombre d'avions qui se déplacent, etc. Il y a des millions de gens qui prennent l'avion tous les jours. Donc, dès qu'il y a un phénomène culturel festif, départs en vacances, festivals, etc, on sort l'impact écologique, et c'est normal d'essayer de le limiter. Mais il est beaucoup plus faible par exemple que celui des vaches, qui pèse 5% du CO2 en France et qui pètent, si je peux me permettre, l'équivalent du CO2 de 15 millions de voitures. Donc oui, il y a une hiérarchie. Je crois qu'il faut sauver les plaisirs de la vie, créer du commun et ça, ça n'a pas de prix.
Que pensez-vous, dans ce contexte-là, des différents appels au boycott autour de cette Coupe du monde ?
Mais ce n'est pas positif, il faut apprendre à construire. On a fait une erreur de la mettre là, peut-être, c'est même assez probable. Il y a eu des magouilles, c'est à la justice de le dire. Après, là, on attend cette Coupe du monde. Les sportifs sont prêts, ils y ont travaillé. Qu'est-ce qu'il faut se dire ? Comment on fait pour que ça ne recommence pas? C'est comme ça qu'on avance dans l'humanité.
Il faut donner à l'ONU le pouvoir de répartir sur la planète les grandes manifestations et, autant que faire se peut, les séparer des problèmes de financement. Sinon, ce ne sont que les riches ou que les pays totalitaires – Berlin en 36, la Russie dernièrement – qui sont prêts, je dirais, à claquer leur pognon parce qu'ils veulent avoir un effet médiatique. Peut-être qu'on pourra y arriver. L'ONU, c'est une structure. Pourquoi ce n'est pas elle qui planifie les grandes manifestations sportives en disant : voilà, une fois l'Afrique, une fois l'Asie, une fois l'Europe, et puis comment le financement est fait un peu par les locaux, et beaucoup par une caisse commune. Il faut progresser vers un modèle plus intelligent, plutôt que de casser ce qui a été fait.
Mais tout de même, est-ce que ces points noirs, et ils sont importants, ne nous obligent pas à relativiser les vertus de cette Coupe du monde 2022. Pas des grands événements de manière générale, mais de celle-ci ?
Oui mais vous savez, précédemment, c'était pas tellement génial. Le débat, on l'a depuis Berlin en 36. C'est pour ça que j'ai pris Berlin parce que c'est l'exemple où Hitler en a profité, et rappelez-vous son rapport avec les athlètes noirs etc. Donc c'est comme ça. La question, c'est d'avoir une pensée qui nous fait avancer. Ne cassons pas le commun de la planète et le désir de vivre. Parce que l'homme avance par son désir, il n'avance pas par ses besoins. Et donc, il faut avancer en renforçant le désir, et effectivement le diriger dans la bonne direction, il faut dessiner un horizon. Mais la question, ce n'est pas toujours de ralentir.
Et plus à l'échelle de notre pays, de la France, il serait de bon ton de vivre une belle aventure sportive collective autour des Bleus, en ce moment ?
C'est un peu gâché parce que c'est au Qatar, on est tous gênés, il faut dire choses honnêtement. Mais après, il y a une équipe, elle est très bonne. J'espère qu'elle va gagner.
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