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Cannes, ses stars, son cinéma : "C'est un lieu où la grande France du XIXe, la France des années 60, est encore présente. Et ça nous fait tous rêver", estime Jean Viard

Le dernier Scorsese avec DiCaprio, samedi 20 mai, le nouveau Todd Haynes aujourd'hui avec Natalie Portman : des tapis rouges "so chic" que nous offre le Festival de Cannes cette année encore. Jean Viard nous rappelle que c'est Edgar Morin, 102 ans bientôt, qui a inventé le mot 'star'. Toutes les sociétés ont un imaginaire et le dessine, explique le sociologue.
Article rédigé par Augustin Arrivé
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le Festival de Cannes déroule ses tapis rouges pour les stars de cinéma. Comme hier, samedi 20 mai, avec de gauche à droite, Robert de Niro, Martin Scorsese, Lily Gladstone, et Leonardo DiCaprio pour la séance photos du film en compétition : "Killers of the Flower Moon". (SEBASTIEN NOGIER / EPA / MAXPPP)

76e Festival de Cannes : nous sommes nombreux à suivre cet événement cinématographique de renommée mondiale, avec plus ou moins de distance, voire une certaine admiration, celles de simples terriens vis-à-vis de toutes ces stars. Décryptage de notre rapport au monde glamour du cinéma, avec le regard du sociologue Jean Viard. 

franceinfo : Est-ce que l'inflation, les questions de pouvoir d'achat, ça change quelque chose à notre perception de ce 'barnum' ? 

Jean Viard : Je ne dirais pas ça, mais après, il faut se souvenir que le mot 'star' a été inventé par le grand sociologue Edgar Morin, il a écrit un livre dans les années 60, qui s'appelait Les Stars. Et ce Monsieur qui a bientôt 102 ans, continue d'écrire. Aujourd'hui, il écrit plutôt sur la guerre d'Ukraine. Mais donc, ça veut dire qu'il y a un moment où, effectivement il y a eu ce triomphe, je dirais, de la star, de la femme un peu objet, d'ailleurs, il y a eu aussi des femmes souvent souffrantes – pensez à Marilyn Monroe, pensez à la tentative de suicide de Brigitte Bardot – parce qu'elles étaient un peu réduites à 'être des formes', et en plus, c'était souvent des filles intelligentes, mais on les réduisait un peu à ça.

Donc, il y avait une pression absolument considérable, mais c'est quand même une époque, où la Sainte Vierge était un peu sortie des églises, et elle était passée sur les écrans, c'est un peu la même chose, la Sainte Vierge était peut-être la star de l'Antiquité, donc on est dans ce processus. Et puis, le monde a profondément changé. D'une part, parce que le cinéma s'est mondialisé, donc on ne connaît pas, de la même façon, toutes les toutes les actrices ou tous les acteurs. Donc ça, ça joue beaucoup. Et puis, il y a effectivement l'explosion des séries, qui fait qu'il y a encore de nouvelles personnalités, de nouvelles actrices, acteurs, souvent excellents, qu'on retrouve dans ces séries.

Donc, c'est un peu comme tout dans nos sociétés, c'est une société en archipels, en sous-groupes, et donc, il y a quelques vedettes qui 'écrasent' le marché, et beaucoup plus d'acteurs ou d'actrices de qualité qui sont moins connus, parce qu'ils sont dans des niches de public, ou des niches de marché. Mais Cannes, c'est quand même un grand événement, c'est le luxe. Et puis c'est la France dans le monde, parce que c'est beaucoup les étrangers qui sont dans le jury, donc ça montre bien que c'est un lieu où la France qui faisait rêver, la grande France du XIXe, la France des années 60, est encore présente. Et ça, ça nous fait tous rêver. 

Mais ce qui plaît aussi à Cannes, c'est cette parade, ce côté 'gala et luxe'. On aime jalouser des célébrités dont on imagine qu'elles ont un niveau de vie qui n'est pas du tout le nôtre ? 

Je ne sais pas si ça marche comme ça, j'ai toujours tendance à penser que chacun vit, comme dans un escalier et, au fond, il rêve de la marche au-dessus. Par exemple, avant, je pense qu'on rêvait d'être princesse, dans les villages. Regardez les almanachs du début du XXᵉ siècle, il y avait tout sur la vie des élites sociales, c'était aussi une façon de voir les modes, etc. Je pense qu'en gros, on a d'abord envie de vivre mieux soi-même, de progresser un peu, si vous êtes à 2 000 euros, vous rêvez de 2500, si vous êtes à 1000 euros, vous rêvez de 1500, mais après vous allez continuer à vous battre pour progresser.

Je crois qu'on vit plutôt comme ça. C'est un peu comme les grands joueurs de foot, au fond, ils sont sortis du schéma classique, ils ont réussi quelque chose d'exceptionnel – le foot, ils gagnent beaucoup plus que les gens du cinéma  –  et donc, ce sont un peu des mythes. Mais regardez, toutes les sociétés ont ça, regardez les Grecs, ils avaient des statues, ils avaient leurs dieux, après les églises étaient peintes, etc... Donc, toutes les sociétés ont un imaginaire, le dessine, et nous, ce sont des êtres vivants qu'on voit passer au cinéma ou sur nos petits écrans, mais le processus est un peu toujours le même.

Il y a des élites, il y a des gens qui font rêver. Cannes est plutôt un lieu paisible, où effectivement, il y a tous les gens qui viennent voir ces grandes vedettes, ce n'est pas un lieu d'agression. Je ne crois pas qu'il y a jalousie. Je n'emploierais pas le mot, je dirais, il y a du rêve, il y a de l'imaginaire et ça, je trouve que c'est une valeur plutôt positive.

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