Cet article date de plus d'onze ans.

Réforme des programmes, la stratégie du contournement

Vincent Peillon installait ce matin le Conseil supérieur des programmes. Prévu par la loi d'orientation, il aura pour mission de travailler sur les nouveaux programmes, du primaire et du secondaire.
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
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Le script de la chronique

Le Conseil supérieur des programmes,
c'est le versant " restauration " de la loi Peillon : il
existait en effet un Conseil national des programmes – il avait notamment été
présidé par Luc Ferry. Créé par la loi Jospin de 1989, il avait été supprimé
par la droite en 2005. Une partie de ses missions avait été reprise par le Haut
conseil de l'éducation.

Pourquoi
créer un organisme de plus ?

Il est vrai que ça peut paraître redondant. Il
existe déjà une direction du ministère de l'Education nationale – la Dgesco –
pour s'occuper des programmes. Elle réunit des groupes d'experts, par niveau ou
par discipline, organise généralement des concertations plus ou moins larges
avec les enseignants, formule les programmes et surtout produit ce qu'on
appelle des " documents d'accompagnement ", qui sont un peu l'exégèse
des programmes, une sorte de mode d'emploi pour décoder l'esprit des programmes
et aider les enseignants. Et puis surtout l'Inspection générale de l'Education
nationale, qui est un corps très influent, est également censée veiller sur le
sujet.

Et ça ne suffit pas ?

Non, pour plusieurs raisons. D'abord le
grand enjeu des programmes scolaires depuis dix ans c'est de faire rentrer la
notion de compétences. Les élèves sont censés maîtriser un socle de
connaissances et de compétences. Or la machine Education nationale, pour des
raisons historiques, est plus à l'aise avec le versant connaissances. Il y a
donc l'idée d'aller chercher une impulsion mais aussi une légitimité ailleurs.
Ensuite qui dit programmes dit horaires. Et chaque discipline est jalouse de
son périmètre. On a peur en maintenant tout le processus au sein de la maison
Education nationale que les rapports de force internes l'emportent sur
l'intérêt des élèves – ce ne serait pas la première fois. Enfin la machine est
réputée plutôt conservatrice ; on se dit donc qu'en prenant la société à
témoin, il y a moyen de la bousculer.

C'est ce qu'avait fait le défunt conseil national des
programmes ?

Oui et non. Son avis n'était que
consultatif mais les ministres se sont parfois largement appuyés sur lui ;
ce fut le cas par exemple lors de la réforme des programmes du primaire de 2002.
Mais nombre des textes émis par le CNP – qui d'ailleurs n'en a guère produit qu'une quinzaine
en 16 ans -  nombre de ces textes sont
restés lettre morte. Exemple en 1991 avec cette robuste déclaration sur les
nouvelles technologies : "  Le
système éducatif en général, et le Collège en particulier, sont
"condamnés" à sauter le pas, à faire entrer massivement, et non plus
au goutte à goutte, les technologies modernes dans les établissements
scolaires, faute de quoi ils risqueraient d'être en rupture totale avec le
monde d'aujourd'hui et le fossé entre l'école et la société se
creuserait. " On pourrait reprendre la phrase aujourd'hui, elle a 22 ans.
Et ce n'est pas le seul exemple.

Les enseignants se plaignent souvent de la
" lourdeur " des programmes. Est-elle réelle ?

Pour répondre, il faudrait
savoir ce que sont les programmes en vrai. Or les choses sont finalement assez
floues. Vous avez les textes publiés au BO, vous avez les documents
d'accompagnement, on les a déjà mentionnés, qui proposent une première exégèse.
Vous avez les manuels qu'utilisent les enseignants et qui eux aussi peuvent
tordre les intentions.

Vous avez aussi les sujets d'examens...

S'ils portaient, au brevet ou
au bac, sur les idéaux affichés par les programmes, le taux d'échec serait
massif. Et finalement ce qui prévaut dans les classes, ce sont autant les
repères liés à l'examen que les programmes eux-mêmes. Car à l'examen on ne vous
demande pas de connaître le programme, la moitié suffit puisqu'un 10/20 vous
donne le bac. A quoi il faut ajouter deux strates, qui sont liées aux pratiques
professionnelles des enseignants : dans chaque établissement et dans
chaque discipline, il y a une sorte d'accord plus ou moins explicite sur ce qui
est effectivement exigible des élèves. La lecture du programme de maths dans un
lycée d'excellence n'est pas la même que dans un lycée de l'éducation
prioritaire... Autant d'incohérences dénoncées par
Roger-François Gauthier, inspecteur général de l'administration de l'éducation
nationale et de la recherche, membre du nouveau Conseil supérieur des
programmes, dans un article du Monde : " les programmes sont
pensés comme un idéal. D'autant que leur rédaction, chaque année, oblige
l'enseignant à commencer ses cours sans se préoccuper du niveau réel des
élèves. Et voudrait-il le faire qu'il ne le pourrait pas, puisqu'il est
inspecté sur ce qu'il transmet du programme ".
 

Ce que vous dites au fond c'est que la notion même de
" programme " qui n'a pas beaucoup de sens.

C'est en tout cas ce que
relève le même Roger-François Gauthier, toujours dans Le Monde : "La plupart des
pays ont abandonné les programmes au profit des
curricula" terme latin qui désigne "c'est
un ensemble plus large qu'un programme
. Il inclut tous les
objectifs d'un enseignement, son contenu global, mais aussi quelques
indications pour guider sa mise en oeuvre, et les modalités nécessaires à son
évaluation".

Ce serait une
révolution...

Oui, et comme toute révolution scolaire, elle ne peut se faire sans
un vaste effort de formation continue et plus généralement de mobilisation, de
dynamique, d'élan des enseignants. C'est vraiment la clé du changement. Sans
elle, aucun Conseil supérieur des programmes, aussi pertinent soit-il, ne
produira le moindre changement concret.

 

 

 

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