Que cachaient les rapports secrets sur l'école ?
Accéder aux rapports sur le site du ministère.
Que ressort-il de ces rapports ?
Au global, le portrait d'un école fragilisée, en
plein doute, de plus en plus atomisée aussi. Mais quand on prend rapport par rapport, on ne comprend
pas le black out (évoqué à plusieures reprises sur France Info dès 2010 puis le 8 novembre 2011 et le 10 avril 2012).
Leurs conclusions ne sont pas pires que ce que les prédécesseurs de Xavier Darcos et Luc Chatel avaient eu à gérer. Ça raconte que les changements font rarement l'unanimité
d'entrée de jeu mais que la technostructure se met en branle et que, bon an mal
an, les changements décidés se mettent en place.
Il y a tout
de même quelques exceptions, notamment sur la question du remplacement des
enseignants...
Oui. Deux ou trois rapports très désagréables dont
celui ci.
Confirme en substance que non seulement le
remplacement des absences de moins de 15 jours n'est pas assuré mais qu'en plus
toutes les absences ne sont pas comptabilisées si bien que le ministère, en
interne, sous évalue le problème.
Pourquoi
une telle situation ?
Directement liée à la politique mise en œuvre depuis
5 ans – pour cela que le black out sur ce sujet s'explique.
Manque de moyens – il fallait bien que les
suppressions de postes aient des effets.
Défaut d'organisation aussi – la promesse de Xavier
Darcos de créer une agence du remplacement n'a même pas connu un début de
réalisation.
Là on voit bien que le ministère savait à quel point,
sur la question des postes, la communication politique était en décalage avec
le réel.
Il y a d'ailleurs plus ironique encre sur ce
sujet : les IG déplorent qu'une mesure décidée par Gilles de Robien, le
dernier MEN de l'ère Chirac, ait été supprimée sous Nicolas Sarkozy – il
s'agissait de revoir le statut des enseignants (une idée qui est ressortie
pendant la campagne dans la bouche de NS).
Donc oui, un rapport comme celui-ci pouvait être lu
comme un réquisitoire contre la politique Darcos-Chatel-Sarkozy.
Il n'y a
aucun rapport favorable ?
Si. La note de suivi sur la mise en œuvre de la
réforme de la formation des enseignants. Une quinzaine de pages pour dire qu'en
dehors de quelques accrocs tout va bien. Le décalage avec ce qui remonte du
terrain est tellement énorme qu'il est étonnant que le ministre n'ait pas sorti
le texte pou essayer de se protéger... à moins qu'il ait estimé, justement, que
personne n'y croirait.
Tous ces
rapports dessinent aussi une sorte de panorama général de l'état de l'école...
Oui. Et ce qui domine c'est l'effritement du
caractère national de l'éducation. Parce que la mise en œuvre de la politique
éducative est renvoyée aux académies et qu'elles n'agissent ni avec la même
célérité ni avec la même efficacité. Mais aussi parce qu'il manque une colonne
vertébrale en termes de projet – un sens commun.
Ça se voit autour de la notion d'élèves en
difficulté.
Prenez le cas du handicap. On découvre que selon les
endroits un enfant en situation de handicap , le même, aura ou pas accès à une
structure spécialisée, simplement car son handicap sera ou non considéré comme
tel. C'est ce que dit le rapport sur les Classes pour l'inclusion scolaire
(Clis) : " les élèves sont-ils bien ceux pour lesquels ce dispositif
est prévu ? Comment expliquer une telle diversité d'une CLIS à l'autre, d'un
département à l'autre ou même à l'intérieur de la même classe ? "
Prenez le cas des dispositifs pour élèves en
difficulté comme " les cordées de la réussite ". On découvre que la
philosophie est très différente selon les endroits : ici on va se
concentrer sur une poignée d'élèves méritants, là on va essayer d'utiliser le
dispositif au profit du plus grand nombre. Je cite le rapport sur les
" cordées " : ce dispositif " risque de favoriser, au gré
des opportunités, de la proximité géographique, des relations établies, de
leurs antériorités, etc. de fortes disparités d'un établissement à
l'autre "
Même chose
avec les internats d'excellence...
Oui. Le rapport conclut : " Dans le
recrutement, priorité doit être donnée à des élèves désireux et capables de
réussir, ceux qui rencontrent des problèmes de niveau ou de comportement
relevant d'autres dispositifs "
En somme quand l'EN crée un dispositif, elle le remplit,
soit avec des élèves qui effectivement sont ciblés à l'origine, soit avec des
élèves dont elle ne sait pas quoi faire ailleurs. C'est une constante
Autre
problème récurrent : le management...
Voilà. Ce qu'on appelle le " pilotage " en
jargon Education nationale.
Là aussi, sur de nombreux sujets, il est de qualité
très hétérogène. Il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton rue de Grenelle à
Paris pour que les 27 académies avancent du même pas.
Deux conséquences essentielles quand on lit les
rapports :
-
un
défaut d'explication, sur le terrain, du sens de la politique nationale, avec à
la clé des blocages plus ou moins explicites. Si on garde l'exemple de nos
internats d'excellence, ça a donné ce malentendu sur la notion même
d'excellence : en gros, est-ce qu'elle est une condition d'accès à ces
internats ou est-ce qu'elle est un objectif à l'issue des internats.
-
Seconde
conséquence : une mise en œuvre chaotique de réformes imposées dans
l'urgence. Un exemple à propos de Clair, un programme rebaptisé Eclair pour les
établissements en difficulté : " Les difficultés constatées par les
inspecteurs généraux dans les académies et dans les établissements doivent
beaucoup à une mise en œuvre rapide qui n'a pas permis de construire les
éléments d'accompagnement correspondants et de répondre utilement à une
inquiétude diffuse "
Des phrases comme celle-ci sont
copiées-collées dans quasiment tous les rapports.
La faute
uniquement aux ministres du précédent gouvernement ?
Non. Vous aviez exactement les mêmes critiques avant.
Raison pour laquelle on peut s'étonner que les ministres n'aient pas assumé ces
rapports publiquement.
Ce black out aura vraiment été le fruit d'une part de
luttes internes à l'Education nationale, de la volonté notamment de casser l'influence de l'Inspection générale.
Le résultat, aussi, de l'attitude des directeurs de cabinet de Xavier Darcos puis Luc Chatel – dans le cas
de ce dernier, on avait affaire à un directeur de cabinet qui ne cachait pas
son profond mépris de la presse et des journalistes. Ajoutez une couche de
" communication politique " là-dessus avec la volonté de garder la
main sur l'agenda, de décider de l'histoire qu'on raconte – le fameux
" strory telling " des communicants anglosaxons -, et vous avez un
cocktail qui amène à passer sous silence des rapports que tous les gouvernements
assumaient jusqu'ici.
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