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Education prioritaire : comment fidéliser les enseignants

François Hollande a dévoilé hier lors de sa conférence de presse ce qui fera le cœur de la réforme de l'éducation prioritaire, une réforme que Vincent Peillon doit présenter demain matin : il s'agira de mesures en faveur des enseignants.
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
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Des
" mesures d'une ampleur inédite "
a-t-il dit pour rendre " plus
attractifs les postes d'enseignants "
en zones d'éducation prioritaire.

Concrètement, il y aura
notamment des " décharges horaires "... Qu'est-ce que cela
permet ?

Pour le comprendre il faut rappeler que le temps de
travail des enseignants est compté de manière très spéciale : ils doivent
seulement les heures qu'ils passent devant les élèves – 15 heures par semaine
pour les agrégés, 18 pour les certifiés. C'est ce qu'on appelle les obligations
de service. On considère qu'en moyenne le temps de préparation des cours ou de
correction des devoirs les amène à une charge hebdomadaire de l'ordre de
40 heures sur 36 semaines annuelles. Soit, aux erreurs d'expérience près, 35
heures par semaine d'un salarié qui n'a que ses cinq semaines de congés payés.

**Donc tout ce qui sort de ces 15
ou 18 heures devant les élèves n'est pas obligatoire.

**

Voilà. Qu'il s'agisse des réunions d'équipe, de recevoir
les parents, d'emmener les élèves en sortie scolaire, de préparer un développer
un projet particulier, numérique par exemple, en plus de son enseignement. Tout
cela est du ressort de l'engagement, de la bonne volonté. Or cet engagement est
jugé plus nécessaire qu'ailleurs dans l'éducation prioritaire.

D'où l'idée d'alléger ces
obligations de service.

Voilà. De donner ce
qu'on appelle donc des " décharges ". Probablement de deux heures par
semaine, pour le suivi des élèves et le travail en équipe – cela,
Vincent Peillon l'a déjà annoncé dans le cadre de la réforme du métier
d'enseignant.

Objectif sous-jacent : attirer les enseignants en zone d'éducation
prioritaire, et surtout les fidéliser.

Oui. Le turn over est très important. Dans certains
collèges, on avait coutume de dire que les élèves étaient ceux qui passaient le
plus d'années dans l'établissement. Cela nuit au suivi pédagogique, cela
interdit les projets sur plusieurs années, ça ne favorise pas la cohésion de
l'équipe éducative. Pour autant, il est faux de dire que tous les enseignants
fuient l'éducation prioritaire. Vous avez un cas assez récurrent, notamment en
Seine Saint-Denis, celui d'équipes composées d'enseignants très jeunes, et très
volatiles, et d'enseignants très expérimentés, qui restent dans l'établissement
pendant parfois plus de vingt ans.

Par militantisme ?

Oui. Souvent ils sont engagés politiquement ou dans
les mouvements pédagogiques. C'est une population qui se raréfie par la force
des choses. Ces enseignants viennent de la génération qui a pris ses fonctions
au début des années 80, qui vit l'enseignement comme une forme d'engagement
social. Pour rien au monde vous ne les ferez sortir de l'éducation prioritaire.

Les enseignants ont à ce point changé ? Il leur faut maintenant des
incitations pour s'engager ?

Je ne pense pas qu'ils aient tant changé que cela.
Aujourd'hui comme à l'époque, la motivation première pour devenir professeur
dans le secondaire est le goût pour une discipline. La notion d'engagement pour
les enfants ou les adolescents vient au second plan – c'est ce que montrent de
manière constante, toutes les études, tous les sondages. Mais à l'époque, dans
les années 80, lors de l'invention de l'éducation prioritaire, tout un pan de
la profession était porté par des idéaux politiques, sociaux, pédagogiques... Il
y avait probablement plus d'adhésion au sens de la mission, à l'idée que
l'école pouvait être le fer de lance de la lutte contre les inégalités.

Et c'est cela qui a changé ?

Disons que cela s'est amenuisé par la force des
choses. Parce que ce mouvement n'a pas suffi à contrecarrer le creusement des
inégalités, parce que la grande détresse sociale et économique s'est enkystée
dans certaines zones, parce que les ados ont changé aussi, parce que les
structures familiales se sont encore plus désagrégées, parce que les
populations immigrées ont changé aussi – ce n'est pas la même chose de naître
en France de parents qui y sont venus pour travailler et qui y ont travaillé et
d'arriver, quasi orphelin, d'un pays en guerre, après avoir été victime ou
témoin d'atrocités.

Donc le travail dans l'éducation prioritaire est devenu plus dur.

Dans certaines zones oui, c'est indiscutable. Vous
avez une conjonction d'évolutions  -
évolution de la population enseignante comme de la population des élèves,
affaissement du politique, lassitude voire déprime face à l'impuissance du
scolaire à compenser le social, - une conjonction d'évolutions  donc qui impose de chercher des leviers de
motivation autres que l'engagement ou le dévouement. Et le meilleur de ces
leviers, aujourd'hui, est sans aucun doute de tenter d'améliorer le quotidien
de ces enseignants, leurs conditions de travail, les aider à souffler un peu,
et puis surtout reconnaître que le travail qu'ils effectuent en dehors du cours
strictement dit est au moins aussi important pour la réussite des élèves que le
cours en tant que tel.

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