Berkeley comme si vous y étiez
Or ils pourraient se le permettre. Berkeley, ce sont 36000 étudiants triés sur le volet,
2000 enseignants-chercheurs choisis parmi les cadors de leur discipline,
ils ont été récompensés par 29 prix Nobel,
19 Oscars,
11 Prix Pulitzer...
Et pourtant ce qui hante littéralement ce film, c'est la crainte de perdre ce
qui fait la spécificité de Berkeley.
Et la première de ces spécificités, c'est que Berkeley est
une université publique
Oui. Contrairement à ses grandes rivales – Stanford, Harvard
ou Yale. Or dès le début du film on découvre ce qui serait ici
inimaginable : sur les 2 milliards de dollars de budget de l'université,
seuls 12% proviennent d'un financement de l'Etat de Californie, une somme en
constante diminution. Et cela impacte tous les aspects de la vie de
l'université.
A commencer par les droits d'inscription.
Oui. Aux Etats-Unis, les études supérieures sont payantes,
même dans le public, mais les tarifs y sont nettement moins élevés que dans le
privé. 12.000 dollars par an à Berkeley en moyenne, soit 8.700 euros. C'est
quatre fois moins qu'à Stanford. Mais surtout Berkeley se targue de déployer
toute une gamme d'aides aux étudiants qui n'ont pas les moyens de payer – elle
a distribué 33 millions de dollars d'aide à 5.700 étudiants de premier cycle
l'an passé.
Ce qui lui permet d'afficher une réelle diversité...
Oui, et c'est une deuxième spécificité de Berkeley, mais qui
n'est pas sans poser problème. Frederick Wiseman s'attarde ainsi à plusieurs
reprises sur des discussions entre étudiants autour de la façon dont la
diversité est vécue au quotidien. Ici c'est une étudiante afro-américaine qui
reproche aux étudiants blancs de n'avoir commencé à se préoccuper des injustices
économiques qu'à partir du moment où leurs propres familles ont commencé à être
touchées par la crise et à avoir vu leurs maisons saisies après l'affaire des
subprimes. Là une autre raconte que lors de la constitution des groupes de
travail entre étudiants, comme par hasard, il n'y avait jamais de place pour
elle dans les groupes composés d'étudiants blancs. On découvre ainsi que la
façade très bigarrée de Berkeley est en fait zébrée de fractures sociales,
économiques et raciales.
Berkeley s'était pourtant fait connaître du monde entier
comme une université porteuse de valeurs de gauche.
Oui, dans les années 60 et 70, notamment autour du Free Speech
Movement, le mouvement de la " parole libre " ; Berkeley fut
également l'un des principaux foyers de contestation de la guerre du Vietnam.
La tradition est toujours très vivace. L'administration veille d'ailleurs à ce
que les étudiants puissent continuer à manifester et passe des accords avec la
police municipale pour éviter tout ce qui pourrait être perçu comme une
provocation des forces de l'ordre dans ce genre de situation. Le souci du bien
public est également omniprésent dans les discours des enseignants et du staff
dirigeant. Mais Berkeley est tiraillée entre cette authentique volonté
d'ouverture et la nécessité de maintenir son rang dans un univers hautement
concurrentiel. Elle doit en permanence chercher de l'argent pour financer ses
programmes de recherche et garder ses enseignants. Aux Etats-Unis le marché est
ouvert et les meilleurs sont régulièrement sollicités par des universités
concurrentes qui leur proposent parfois de doubler leurs salaires. Il faut donc
une bonne dose d'engagement, de foi dans les valeurs de Berkeley, pour rester.
La transmission de ces valeurs occupe donc une place
centrale...
Oui. C'est un des aspects les plus forts du film. Il s'attarde
longuement sur des scènes de cours. Et là on voit, on éprouve, la façon dont la
quête de l'excellence scientifique s'exerce au quotidien, mais aussi dont
certaines valeurs se transmettent : le souci du bien commun – on l'a dit –
mais aussi l'exigence de penser différemment, " out of the box "
comme disent les américains -, et puis cette conviction, sans cesse rappelée,
que l'Amérique est le pays de tous les possibles, que si on veut on peut,
qu'elle permet à chacun de tenter sa chance. Le " rêve américain " ne
doit rien au hasard, il est sans cesse travaillé, martelé, diffusé.
Berkeley n'a pas d'équivalent en France...
Non. Aucune institution de niveau mondial n'accueille autant
d'étudiants. Aucun établissement ne peut prétendre à l'excellence dans autant
de disciplines – des sciences à la littérature, de la technologie aux Arts...
C'est vraiment un autre modèle, impossible à classer ou à dupliquer dans la
réalité française.
Et que l'on pourra donc découvrir demain au cinéma...
Oui, dans ce
film de Frederick Wiseman, At Berkeley.
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