"Raconter la guerre", un livre sur 200 ans d'histoire des correspondants de guerre
Le Prix Bayeux des correspondants de guerre a couronné samedi 9 octobre pour la première fois un lauréat qui doit rester anonyme pour sa sécurité, après un reportage dans son pays en Birmanie. En marge du Prix Bayeux, focus sur le livre d'Adrien Jaulmes, "Raconter la guerre", paru aux éditions des Equateurs.
Le Prix Bayeux des correspondants de guerre a aussi distingué en presse écrite, Wolfgang Bauer, né en 1970, il reçoit à la fois le Prix du jury international et le Prix Ouest-France Jean Marin, pour un article diffusé par le journal allemand Zeit magazin, "Among Taliban" ("Parmi les Talibans").
Les bosniens Damir Sagolj et Danis Tanovic eux remportent à la fois le prix dans la catégorie télévision Grand format, et dans la catégorie Image vidéo. Ils sont récompensés pour "When we were them" ("Quand nous étions eux"), un reportage sur les milliers de migrants perdus dans le nord de la Bosnie-Herzégovine et diffusé sur Al Jazeera Balkans.
Le livre d'Adrien Jaulmes : Raconter la guerre
En marge du Prix Bayeux des Correspondants de Guerre, ce livre d'Adrien Jaulmes, Raconter la guerre, part d'une exposition dont le principe était justement de raconter la guerre. Disposant d'une base d'archives inouïes, le journaliste du Figaro signe une trame documentée et chronologique du brouillon de l'histoire, ce qu'écrivent les reporters qui ont inventé ce métier à part. Au fil du temps, les évolutions technologiques n'ont jamais modifié les fondamentaux du reportage de guerre.
"Le journalisme de guerre consiste à aller vers la guerre quand tout le monde la fuit."
Adrien Jaulmesà franceinfo
C'était encore le cas cet été en Afghanistan. Celles et ceux qui fuyaient la progression des Talibans croisaient les journalistes qui voulaient aller sur place. Adrien Jaulmes l'écrit lui-même : "C'est une curieuse profession entourée d’une aura alors qu’elle est régulièrement accusée de mensonge et de voyeurisme". Dans le fond, c'est la règle du journalisme. S'en tenir aux faits, aller sur le terrain, et rester vigilant face à la propagande et la censure.
William Howard Russel, l'un des premiers grands noms des correspondants de guerre
Avant l’apparition de la presse au XIXe, c’étaient les généraux qui racontaient leurs propres guerres. Les premiers correspondants de guerre apparaissent avec la guerre du Mexique en 1848, et ce n’est que quelques années plus tard que le métier découvre sa première célébrité : le britannique William Howard Russel pendant la guerre de Crimée. Ce que décrit Russel, c’est la confusion des combats, les blessures horribles et mal soignées, les épidémies qui font rage et les incompétences du commandement.
Les difficultés que doit surmonter Russel sont les mêmes que celles rencontrées par les journalistes aujourd’hui dans un conflit : la logistique, les contraintes de transmission, et les relations parfois tendues avec l’armée. L’Etat-Major déteste Russel qui décrit l’impréparation de l’armée britannique et la Reine Victoria qualifie ses papiers "d’attaques infâmes contre notre armée" et déjà "la honte du journalisme", Ici, est finalement compilé tout ce qui va caractériser le reportage de guerre : en premier lieu les tensions avec les armées, qui imputent aux journalistes la responsabilité des défaites militaires.
Tensions avec les armées, propagande et censure
Ce sera criant en 14-18. L’Etat-Major persuadé que les journalistes ont provoqué la déroute de 1870, avec des informations publiées qui profitent aux Prussiens et démoralisent les troupes, décide de fermer l’accès aux journalistes. Or, un reportage de guerre pour exister doit être publié, sinon il n’est rien.
La propagande et la censure sont organisées. L’armée enrôle des photographes et des cinéastes pour donner des images à la propagande, et censure les récits. Le journalisme sort de cette guerre discréditée. Le public n’a rien su de l’âpreté des combats. La génération sortie des tranchées décide de ne plus subir la censure et préfigurent ce que sera le métier désormais.
La guerre d’Espagne voit intellectuels et écrivains devenir à leur manière reporter de guerre : Kessel, Saint Exupéry, Hemingway. Picasso peint Guernica à partir des récits qu’il lit dans les journaux.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les journalistes sont "embeded" par les forces armées, les Nazis perfectionnent l’exercice de la propagande, l’horreur des camps ne sera découverte qu’à la fin de la guerre.
Le Vietnam voit un accès libre et total au champ de bataille
Il en résultera des chocs et des traumatismes, notamment avec des reportages qui révèlent que les atrocités ne sont pas toujours commises par l’ennemi et qui feront réagir la Maison Blanche, tout comme la monarchie britannique avec Russel en son temps. Au Vietnam, une génération de reporters insiste : "La guerre est sinistre et absurde, plein de bruit et de fureur, elle ne signifie rien, il faut la dénoncer."
Les années 70, les premiers journalistes otages pendant la guerre civile au Liban. "Dans cette deuxième moitié du XXe siècle, écrit Adrien les affrontements ambigus privent de repères les correspondants de guerre. Il n’y a plus de victoires à décrire, mais des opérations aux objectifs peu clairs."
Il n’est plus question de stratégie militaire et de généraux, les sujets de reportage s’attardent sur les populations civiles et les souffrances. Les atrocités. Le génocide du Rwanda, les Balkans. Les journalistes ciblées et tués avec l’apparition des organisations terroristes qui créent avec les réseaux sociaux leurs propres moyens de diffusion.
Un livre documenté sur près de 200 ans de guerre
Dans une approche méthodique et richement documentée, Adrien Jaulmes raconte près de 200 ans de guerre avec un détail et une minutie impressionnante, dans le respect de la chronologie de l’Histoire. Il n’oublie pas les femmes de la profession : Fergusson, Higgins, Fallaci, Amanpour.
En utilisant le présent comme temps de narration, Adrien Jaulmes entraîne le lecteur dans les pas du reporter de guerre dans ses difficultés de terrain. Car en dépit des nouveautés technologiques, le télégraphe, la radio, la betacam, le téléphone satellite et les réseaux sociaux, le reportage de guerre continue d’être une forme artisanale mettant le journaliste face à des contraintes qui sont toujours les mêmes.
"L’accès est dangereux, partiel, limité. La logistique peut devenir infiniment complexe et coûteuse. Les informations sont rares, fragmentaires, fausses, biaisées. On ne comprend rien si l’on reste à distance, et pas grand-chose si l’on s’approche. A part la souffrance, la confiance, l’absurdité et la mort."
Cette difficulté équilibriste, le photographe Larry Burrows la décrit lors de la guerre au Vietnam.
"Les images, j’essaie de les prendre de façon que l’on puisse les regarder sans ressentir de la révulsion, mais en comprenant la guerre."
Le photographe Larry Burrows au VietnamExtrait du livre d'Adrien Jaulmes
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