Emmanuelle Eyles est allée pour Marie-Claire à la rencontre des voleuses de sable au Cap Vert.Gagner 45 euros par mois pour survivreL'archipel du Cap Vert n'a pasde ressources naturelles. En dehors du poisson, il n'y a rien. Cette anciennecolonie portugaise à 450 km du Sénégal, abrite 530000 habitants qui s'accrochent à leur île en dépitdu chômage et de la dureté du quotidien. Le sable n'appartient à personneet il a une valeur marchande.Payer les frais de scolarité des enfantsL'argent que rapporte la vente du sable volé paye lesfrais de scolarité des enfants. Les fournitures, l'uniforme,l'inscription. Ce sont les femmes qui sont responsables des enfants, ce sontles femmes qui volent le sable. Quand je leur ai posé la question c'étaitpour elles une telle évidence qu'elles ont éclaté de rire.Trier les galets et tamiser le sable fin Il y a plusieurs techniques, selon les plages et ce qu'ilreste de sable sur ces plages. Car il faut savoir que le sable disparaît peu à peuet qu'un désastre écologique se prépare, mais j'y reviendrai. Sur lesplages où il y a encore du sable au sol, elles trient les galets, en fontdes tas de différentes tailles, et tamisent chaque jour, inlassablement lesable qu'elles râclent avec une écuellecassée en deux, pour ne garder que le plus fin et constituent ainsi d'énormestas de sable qui seront récupérés de nuit par les hommes de mains deconstructeurs locaux ou bien pour l'exportation.Quand il n'y a plus de sable et que la plage ressemble à unsquelette rocailleux et laid, elles entrent dans l'eau profondément, en dépitdes rouleaux, chercher le sable du fond. Elles attachentsolidement leurs scandales en plastique avec des lacets car l'eau les arrache,portent des collants contre les blessures des galets et recouvrent leurscheveux de sacs plastiques multicolores pour les protéger du sel.Affronter les rouleaux de l'océan Ces femmes sont solidaires. L'océanest dangereux et les rouleaux de vagues sont puissants. Les femmes les plusfortes sont dans l'eau jusqu'aux épaulesavec une pelle tandis que les autres entrent les unes derrières les autres etforment une chaîne avec chacune un seau sur la tête. Elles ont de 15 à 65ans, portent 50 kgde sable dans le seau. Elles font ça chaque jour depuis leur enfance,n'ont jamais connu d'autre travail et cela leur rapporte 45 euros par mois.Eviter les patrouilles policières Les militaires qui patrouillent les plages ne sont pas trèseffrayants et comprennent bien que ces femmes n'ont pas d'autre choix si ellesveulent envoyer les enfants à l'école. Il n'y a pas de travail. Lesmilitaires avec lesquels j'ai parlé m'ont dit qu'ils se contentent de confisquerle matériel et de vider les sacs de sable. Elles recommencent aussitôt évidemment.L'écosystème détérioré S'il n'ya plus de sable les poissons ne peuvent plus y pondre leurs œufs ni senourrir des micro-organismes. Il y a donc beaucoup moins de poisson qu'avant et les pêcheurs en ramènent moins. Les récoltesaussi sont affectées car la barrière de sable qu'étaitla plage, protégeait la terre et la nappe phréatique des infiltrations salées.J'ai rencontré des cultivateursde tabac et de bananiers qui étaient au bord de la ruine.Le trafic du sable dans le monde Le sable est la deuxième ressource la plus utilisée dans lemonde après l'eau. On utilise plus de 15milliards de tonnes de sable par an pour un volume d'échangesde 70 milliards de dollars. Le sable est partout, présent dans l'alimentation, le verre, les cosmétiques,ordinateurs, puce sélectroniques, détergents etc.. Mais il est surtout lecomposant principal du béton. Or deux tiers de ce qu'onconstruit aujourd'hui sur la planète est en bétonarmé. Comme le sable du désert est trop lisse pour en fabriquer, c'st la ruée sur les plages. Les villes de demain quesont Singapour, Hong Kong, Oulan Baator, Mumbai, Dubai, ontenglouti des centaines de plages et des dizaines d'îlesaux Maldives.Les mafias à la manoeuvre En 2010 le Cambodge, le Vietnam, la Malaisie, l'Indonésie et le Cap Vert ont interdit, l'exploitation sauvage du sable mais les mafias sévissentsur toute la planète, surtout en Inde où l'oncompte 8.000 sites de pillageLe sable n'est pas rincé lorsdes trafics illégaux, il reste salé, ce qui rend le béton beaucoup plusfragile. Toutes ces constructions dans les mégapoles ne sont pas sans risques.