Aller à l'essentiel et faire le tri dans ses désirs
**Nous en parlons avec Anne
Laure Gannac. Comment expliquer que l'on ressente régulièrement cette
envie d'aller droit au but, droit à l'essentiel, et surtout, il faut bien le
dire, en début d'année, à cette période de bonnes résolutions ?**
Cette
envie, ce besoin parle beaucoup de notre époque : il vient en réaction à
une sensation d'étouffement, de "trop",
d'éparpillement dans du superflu, qui sont autant d'effets produits, entre
autres, par une société de l'hyper-consommation. Comme l'explique bien la
psychanalyste Valérie Blanco dans notre dossier, cette société de consommation
génère un paradoxe majeur : plus on consomme, plus on s'attend à
rencontrer de la satisfaction. Mais c'est l'inverse qui se passe.
Pourquoi ? Parce que consommer répond à notre " manque à
avoir". Or, le grand problème de l'être humain qui est, par nature,
incomplet, c'est de répondre à son "manque à être". " D'où ce
sentiment de malaise, qu'on exprimera souvent par : "j'ai tout pour
être heureux, et pourtant, ça ne va pas, il me manque quelque chose."
**A travers ce besoin qu'on peut ressentir d'aller à l'essentiel, on
exprime le besoin d'être soi
**
Oui, d'ailleurs
"essentiel" et "être" ont la même étymologie :
"esse". Au fond, ce qui s'exprime c'est le besoin de faire le
ménage, de faire le tri dans sa vie, pour ne pas se laisser envahir par des besoins
qui ne sont pas réellement les nôtres, par des exigences qui ne nous satisfont
pas profondément. Pour se recentrer sur ce que la psychanalyse appelle son
désir, au sens plein du terme, c'est-à-dire ce qui nous meut, ce qui nous
pousse en avant. Au fond, ce dont on ne peut absolument pas faire l'économie
pour être à peu près bien avec soi.
**Les raisons de ce malaise et de ce besoin d'aller l'essentiel sont
sociétales : n'y a-t-il pas aussi des raisons personnelles,
individuelles ? **
Si,
bien sûr. Pour preuve, c'est que tout le monde ne souffre pas autant de cela,
certains sentent qu'ils vivent ce qui leur importe vraiment. Mais pour les
autres, souvent, c'est une crise qui vient réveiller ce malaise : une
rupture, un décès, un voyage, un événement qui les sort de leur routine et qui,
brutalement, leur fait ressentir ce besoin de revenir à l'essentiel.
Pourquoi ? Parce que, peut-être, on aura trop longtemps cédé sur son
désir, au profit de la norme sociale, le désir parental, ce que les autres
projettent sur nous, ce que l'on pense qu'ils attendent de nous, etc. Et le
risque à continuer sur cette voie, on le sent bien, c'est la tristesse, voire
parfois la dépression.
**Mais
est-ce que c'est si évident de savoir ce qui est notre essentiel ? Ce dont
on a vraiment besoin ? **
Non,
ce n'est pas simple, parce que ce désir là, est empêtré dans les désirs des
autres, de nos parents, de notre environnement, de ce que la société nous en
dit, etc. Et puis parce que, comme le dit Lacan, " le désir est un
furet ". Il court sans cesse et donc, on aurait tort de penser qu'on va
pouvoir le trouver une fois pour toutes et s'en contenter définitivement. Ce
n'est pas comme une boîte bien gardée qui serait au fond de nous et qu'il
s'agirait juste d'aller ouvrir pour trouver enfin sa nature profonde. Ca n'a
rien à voir avec cela : le désir, cet essentiel, il est changeant, selon
notre âge, ce que l'on a accompli dans la vie, etc. Le principal, c'est de lui
trouver un objet sur lequel il va pouvoir se fixer. Mais tout en sachant
qu'une fois cet objet accompli, il faudra en trouver un autre.
**Donc
ce n'est jamais fini ? **
Non,
et tant mieux ! Ce ce qui compte, c'est de maintenir cette envie d'aller à
l'essentiel, c'est cela qui nous pousse en avant. Le plus douloureux ce n'est
pas tant de ne pas savoir ce que l'on veut vraiment, ce dont on a réellement
besoin pour être mieux ; parce que là, on est déjà en mouvement, on
cherche. Le plus douloureux c'est quand il n'y a plus de goût pour rien, quand
il n'y a plus ce désir.
**C'est
le début de l'année, on a envie de la commencer de la façon la plus juste pour
soi : qu'est-ce qui peut aider à cerner cet essentiel ?**
Dans
notre dossier, on propose plusieurs conseils, plusieurs chemins à suivre, mais
pour n'en citer qu'un et très concret, la psychiatre Yasmine Ménard suggère
que, de temps en temps, on se lève en décidant de tout passer par le crible du
"ce dont j'ai vraiment besoin " : alors
on ne va peut-être pas manger quand on n'a pas faim, acheter une énième paire
de chaussures, aller voir cette personne qui a sur nous un effet toxique,
supporter les colères de ce collègue sans rien dire, etc. Nos besoins
essentiels sont en réalité très simples, mais nous avons tendance à les taire,
au bénéfice de ceux qui nous sont dictés par les autres, la société ou nos
peurs. Pour les entendre, et d'après cette psychiatre qui est aussi une adepte
de la méditation pleine conscience, il s'agit de faire de la place à
l'intelligence du corps plutôt qu'au mental.
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