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Micro européen. 300 femmes assassinées en Turquie en 2020

La perte de la Convention d‘Istanbul assombrit le futur des femmes turques. Ce traité international a pour but de réprimer les violences faites aux femmes, en particulier les violences domestiques. Recep Tayyip Erdoğan, par cette décision, plonge les femmes turques dans la colère et l'effroi. Une régression totale, compromettant l’avenir des femmes turques qu’avait voulu Atatürk, le père de la Turquie moderne.   

Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Rome. Manifestation de femmes turques le 25 mars 2021 contre le retrait de la Convention d'Istanbul.  (PIERO TENAGLI / IPA / MAXPPP)

La Turquie a annoncé quitter la Convention d'Istanbul, une convention du Conseil de l’Europe, traité international qui a pour but de réprimer les violences faites aux femmes, pour l'élimination de toutes les formes de violences envers les femmes, la violence conjugale, et familiale, y compris le viol conjugal et la mutilation génitale féminine.

Cette convention a été introduite en 2011, lors de la présidence turque du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe. D’un trait de plume, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, a décidé de retirer son pays de la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe. Bien évidemment, la gifle islamo-ottomane nationaliste a fait descendre les femmes turques dans la rue, et elles ne cessent de se regrouper dans les rues des villes de Turquie brandissant des portraits de femmes assassinées, dont les meurtriers n’ont pas été poursuivis par la justice, pour ceux connus car bon nombre de meurtres, comme l’a précisé notre invitée Ürün Günner, militante de l’association féministe Flying Broom (Balais Volant).

Des assassinats impunis, une justice liée au pouvoir

Bon nombre d’assassinats de femmes sont sans poursuites, faute de présumés coupables. Les avocates des associations turques ont beau porté plainte auprès de la justice turque, mais comme l’a précisé notre invitée, cette justice est plus que liée au pouvoir. Quant au législateur turc, qui pourrait être un recours envers cette décision, le parlement turc est dominé par les deux partis majoritaires "erdoganiens", l’AKP, parti islamo-turc et le MHP, parti d’extrême droite dont les militants sont les "Loups gris". Comment faire pour que les femmes trouvent un moyen légal afin de faire entendre leurs voix, et aboutir à la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg ? Un processus possible après avoir "usé" tous les recours juridiques nationaux. Le combat des féministes est un long chemin semé d’embûches.

La décision turque de sortir de cette convention est aujourd’hui une porte ouverte à l’assassinat impuni de femmes, une sorte de permis de tuer qui ne porte pas son nom. Mais les femmes turques ne sont nullement disposées à courber l’échine face à cette politique obscurantiste de harem, alors que Mustapha Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne, avait donné le droit de vote aux femmes turques en 1934, début de leur émancipation. Aujourd’hui, Erdogan met en œuvre une régression totale de son pays, compromettant l’avenir des femmes turques qu’avait voulu Atatürk.   

La Hague, 3 avril 2021. Des manifestants protestent en tenant des bandeaux avec les noms des femmes mortes en Turquie, vicitimes de féminicides. Des femmes turques aujourd'hui dépourvues de droits. Erdogan ayant décidé de se retirer de la Convention d'Istanbul. 
 (REMKO DE WAAL / ANP MAG / AFP)

"Ce sont les femmes qui gagneront cette guerre"   

Cette phrase est celle des manifestantes turques qui sont entrées en guerre contre le pouvoir islamo-nationaliste d’Erdogan. Elles savent très bien quels sont les risques encourus, comme nous l’a indiqué Ürün Günner, la prison, pour commencer…

Pour le Conseil de l’Europe, la décision d’Erdogan est "une nouvelle dévastatrice et compromet la protection des femmes dans ce pays", mais pas plus. On attendrait une prise de position courageuse de sa secrétaire générale, Madame Marija Pejčinović Burić, à commencer par une vraie solidarité féminine. Le Quai d'Orsay, a fait savoir qu’il "regrette profondément cette décision qui va en premier lieu affecter les femmes turques, auxquelles la France exprime toute sa solidarité…". Quant au ministère allemand des Affaires étrangères, "cela envoie un mauvais signal à l'Europe, mais surtout aux femmes turques".

Il faut dire que le gouvernement allemand ne peut faire mieux, dans le sens où la communauté turque en Allemagne (4 millions) est un lobby fort gênant pour Angela Merkel qui, trop souvent, est plus soumise que résistante à Erdogan, mais elle n’est pas la seule. En somme, tout aujourd’hui peut arriver aux femmes turques si elles ne sont pas soutenues par des messages forts et des actions engagées par la communauté internationale.

En Turquie, le rival d’Erdogan, le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu a déclaré que la décision d’Erdogan "revient à piétiner la lutte que mènent les femmes depuis des années". Les femmes turques sont-elles en danger ? C’est peu de le dire… 

Le 8 décembre 2019, à Istanbul, des femmes inspirées par le collectif féministe Las Tesis se sont réunies pour interpréter la chanson "Un violeur sur ton chemin" comme au Chili. Alors que les femmes chantaient les paroles en turc et en espagnol, la police a attaqué la foule et six femmes ont ete arrêtées. Les femmes ont continué à résister et à chanter "N'arrêtez pas les femmes, arrêtez les feminicides".  (MARIE TIHON / HANS LUCAS / AFP)

Erdogan l’invincible ?

On connaît le président turc prêt à tout. Il n’hésite pas à occuper la basilique chrétienne Sainte Sophie pour en faire une mosquée, tout comme l’église Saint Sauveur in Chora, remettre en question le Traité de Lausanne sur les frontières, ne plus respecter la Convention de Montreux sur les détroits, ignorer les ZEE européennes (zones économiques exclusives) ; fermer les yeux sur les actions de Daech et de l’EI en Syrie, en laissant se faire massacrer les courageuses et superbes combattantes kurdes ; intervenir dans Haut Karabakh officiellement ou officieusement ; n’avoir de cesse de menacer la Grèce et Chypre et prolonger son chantage aux migrants face à l’UE, sans parler de son "soft power" en Europe, entre autres à Strasbourg, où le bâtiment du consulat et de la représentation turque auprès du Conseil de l’Europe à des allures de forteresse.

Mais pour le président turc, malgré son côté "Va-t-en guerre", sa politique commence à perdre de sa superbe. Hormis le fait qu’il a insulté le président de la République française, son économie connaît un net ralentissement, une inflation à risque très élevée et une livre turque qui va de mal en pis, perdant un cinquième de sa valeur en une année, et accentuée par une reprise en main "erdoganienne" de la Banque centrale turque.

Aujourd’hui, Erdogan est aussi inquiet par l’arrivée de l’équipe Biden à la Maison-Blanche qui pourrait bien mettre en place une relation plus dure entre Washington et Ankara. Donc des nuages noirs commencent à s’amonceler sur la tête de l’autocrate d’Ankara.  

Et l’Europe dans tout ça ?

Quant à la pitoyable rencontre à Ankara entre l’Union européenne et la Turquie le 6 avril dernier, on pourrait la résumer par une formule à la Clémenceau, "poltron et sofa".  

José-Manuel Lamarque, c'est aussi du lundi au vendredi à 5h12 sur France Inter dans Chroniques littorales.

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