Le Portugal à l'épreuve de la crise
Focus aujourd'hui dans Micro européen sur le Portugal, avec Ana Navarro Pedro, journaliste correspondante portugaise à Paris, notamment correspondante de l'hebdomadaire Visão.
franceinfo : Comme au Royaume-Uni, comme en France, le Portugal est dans les grèves et les manifestations ?
Ana Navarro Pedro : C'est vrai, mais pour des raisons différentes chez nous, comme au Royaume-Uni, avec des problèmes liés à l'inflation, au pouvoir d'achat, au coût de la vie dans le pays, donc des grèves depuis février, elles sont suivies à 85%, en règle générale. Dans le service public et dans le privé. Service public, ça vous dira quelque chose, les éboueurs, les hôpitaux, les écoles, et ce qui fait plaisir aux Portugais, le secteur des répartitions de la finance.
Mais concernant le coût de la vie, le gouvernement portugais a décidé, comme en Espagne, de baisser la TVA ?
Sur les produits alimentaires, oui, parce qu'effectivement, l'inflation la plus élevée au Portugal, c'est sur les produits alimentaires : 21% d’augmentation sur un an. Or, les salaires ne sont pas très élevés au Portugal. D'ailleurs, une étude de la Banque du Portugal a même démontré que pour les diplômés de l'université, les salaires depuis 2006, ont baissé d'environ un peu moins de 150 euros par mois.
La question du logement aussi…
La question du logement, environ une famille sur deux au Portugal a des difficultés à se loger aujourd'hui, et à se nourrir aussi. Donc, voilà ce qui explique le succès de ces manifestations.
Avec un gouvernement de gauche…
De gauche, avec une majorité absolue, qui a été considéré et porté aux nues comme étant magicien. Peut-être a-t-il-perdu sa touche magique. Il est accusé par les oppositions et par la population d'immobilisme, et de ne pas prendre les mesures adéquates. Le gouvernement a d'abord suivi ce que disaient l'Europe et les États-Unis. C'est-à-dire, l'inflation ne va pas durer, et ne va pas être très élevée.
Ensuite, quand elle a duré et qu'elle était très élevée, le gouvernement a dit : "Ah oui, mais on ne peut pas augmenter les salaires, parce que ça va encore augmenter l'inflation". Et maintenant, les Portugais lui disent oui, mais on n'a pas augmenté les salaires, et l'inflation a vraiment augmenté de beaucoup.
C'est la grogne, mais le Portugal et l'Espagne s'étaient démarqués de l'Union européenne, l'année dernière, concernant l'énergie, ils avaient dit : "Nous, on ne va pas augmenter l'énergie…" Et là, le gouvernement portugais relance justement cette dérogation, face à l'Union européenne pour l'énergie ?
Ils ont commencé le processus en janvier, parce que cette dérogation se termine en mai, et ils demandent encore une année de dérogation, ce qui fait que, par exemple, le KWh au Portugal est environ à 0,14 centime d'euro, en France sous le bouclier gouvernemental, il est encore à 0,18 centime.
Et toujours des scandales financiers au Portugal...
Oui, il y a énormément de critiques sur une certaine évasion fiscale au Portugal, des plus riches…
Quand on parle des plus riches, le Portugal va supprimer justement les visas dorés. Vous nous les expliquez…
Les visas dorés, c'est une mesure qui a été prise en 2012, alors que le Portugal était dans les affres de la très grande crise de la dette souveraine, et sur une politique d'austérité très grave, pour attirer des riches investisseurs au Portugal. Contre un investissement d’1 million d'euros dans l’immobilier, les entreprises, les créations d'emplois, ils avaient droit à un visa Schengen. C'est ça ce qu'on a appelé les visas dorés.
Le Portugal va mettre fin à cette pratique maintenant, qui a quand même rapporté près de 7 milliards d'euros au pays, ce n'est pas rien, mais elle va y mettre fin parce qu'elle fait peser, d'après le gouvernement, un énorme poids sur le marché immobilier.
C'est la raison pour laquelle les Portugais ne peuvent pas se loger ?
Pas seulement, parce que c'est une bonne excuse de la part du gouvernement. Mais ceux qui ne peuvent pas se loger, ils ne peuvent pas acheter les mêmes logements, que ceux qui ont 1 million à investir dans le pays. Donc, le problème c'est aussi tous les étrangers, beaucoup de français par ailleurs, qui achètent tous les logements vides vacants, pour en faire des Airbnb, des logements pour le tourisme, etc…
Ces visas dorés, ça n'a rien à voir avec les retraités français qui sont partis au Portugal et qui ont été exonérés d'impôts pendant dix ans. Cela fonctionne toujours ?
Ça fonctionne toujours, dans le cadre de l'Union européenne…
Vous rassurez beaucoup de gens. Autre problème au Portugal, la fermeture des commerces de proximité ?
Les commerces, l'habillement, évidemment les 80% des familles ont baissé leurs dépenses d'habillement, les papeteries, les supérettes aussi, parce que c'est difficile de se nourrir. Mais paradoxalement, et très curieusement, les librairies échappent à cette bérézina, et le nombre de livres vendus a augmenté.
Fernando Pessoa toujours présent, le grand poète portugais...
La littérature est toujours un refuge en temps de crise…
Il avait écrit un très beau poème, Le clocher de mon village, c'était celui de son quartier...
Exactement.
On peut retenir de ce focus sur le Portugal, que la situation sociale aussi se dégrade là-bas…
Elle se dégrade à la portugaise, sans excès.
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