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L’UE et la Méditerranée : "Depuis un certain nombre d'années, l'Europe est quasiment absente, personne n'arrive à enrayer la chose et à reconstruire ce qu'est la Méditerranée", estime Boualem Sansal

"Micro européen" s'intéresse aujourd'hui aux relations entre l'Union européenne et la Méditerranée, avec l'écrivain et philosophe algérien Boualem Sansal.
Article rédigé par franceinfo - José Manuel Lamarque
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Carte de la Méditerranée et des pays qui la bordent. (Illustration) (POP_JOP / DIGITAL VISION VECTORS / GETTY IMAGES)

Un focus méditerranéen aujourd'hui dans Micro européen, avec Boualem Sansal, écrivain et philosophe algérien d'expression française, grand prix de la Francophonie de l'Académie française en 2013, Prix Édouard-Glissant pour l'ensemble de son œuvre en 2007, prix Méditerranée en 2021. La Méditerranée cristallise aujourd'hui beaucoup de questions de géopolitique internationale. 

franceinfo : Vous vous sentez appartenir aux deux côtés de la Méditerranée ? 

Boualem Sansal : Absolument, vraiment, je me sens avec un pied en Algérie, et un en France, sans me sentir écartelé. Au fond, la Méditerranée est plus un trait d'union, qu'un fossé.

Justement, on s'aperçoit que cette Méditerranée cristallise beaucoup de questions de géopolitique internationale. Et ces questions, après, se retrouvent en Europe, qu'on le veuille ou non. Est-ce que pour vous, l'Europe, donc l'Union européenne, a-t-elle raté quelque chose ou pas, en Méditerranée ?

Je peux dire que depuis un certain nombre d'années, l'Europe est quasiment comme absente. Personne n'arrive à enrayer la chose, et à reconstruire ce qu'est la Méditerranée. La Méditerranée est un centre de gravité.

Nous avons des pays méditerranéens en Europe, on peut même dire, le Portugal et l'Espagne, la France, l'Italie, la Croatie, la Grèce, et j'ai l'impression que l'Europe ne s'appuie pas sur ces pays méditerranéens pour avoir une politique méditerranéenne avec l'autre rive ?

L'Europe est devenue technocratique. Ce qui est symbolique lui échappe. L'ésotérisme des choses lui échappe.

Vous avez fait la une de la Revue des deux Mondes en mars, dans l'entretien Islam et islamisme, vous faites comprendre cette non-position européenne. En réalité, c'est une position un peu aveugle, de l'influence que révèle vraiment la Méditerranée, à commencer par la Turquie, puisque Monsieur Erdogan a une vraie influence géopolitique ?

Ah, c'est sûr, la Turquie a une histoire, et elle colle à son histoire. Ils sont en plein dans cette politique de se réapproprier, et au-delà, de s'approprier la Méditerranée, de faire le lien entre le Nord et le Sud. Mais au fond est-ce qu'ils ont tort, quand on voit que l'islamisation avance en Europe ? 

Alors que l'Europe a participé, il y a eu la guerre d'Irak, la Libye, la Syrie. La Syrie, maintenant, il y a des bases russes. On voit ces pays qui sont démantelés, qui sont déséquilibrés en Méditerranée, qui ont une vraie influence, et une fois de plus on voit que l'Europe n'est pas vraiment présente ?

Les pays que vous citez, l'Irak, la Syrie, la Libye sont une création des accords Sykes-Picot. C'est assez artificiel. On a mélangé des choses qui n'étaient pas mélangeables, ils se détruisent eux-mêmes. Ils ont été construits sur des bases incohérentes. Le Liban, etc… c'est pour ça que tout à l'heure, on parlait du projet de l'Union pour la Méditerranée, c'était formidable. C'était le contrecoup des accords de Sykes-Picot. L'occasion, elle était là, de rebâtir sur le plan symbolique, construire des passerelles même.

Sauf qu'aujourd'hui, la réalité, depuis des années d'ailleurs, c'est que derrière tout ça, il y a des peuples. Et qu'avec la question des migrants, l'Europe se trouve face à une réalité qu'elle avait ignorée ?

C'est une réalité.

Qui viennent de Méditerranée …

On est en train de créer les conflits de demain. Et apparemment, cette Europe-là, elle ne sait plus regarder ce qui est son ventre, la Méditerranée, son ventre. Notre devoir, si c'est de militer, oui. J'ai milité très sérieusement sur un certain nombre de thèmes qui me paraissaient vraiment sérieux, d’abord la francophonie… parce qu'il nous faut un lien, il nous faut des liens et les identifier et les travailler, pour reconstruire.

Sur le plan institutionnel, il nous faut des institutions. La Méditerranée ne peut pas être comme ça. Il faut des institutions qui regardent de manière pérenne et calme, d'où l'Union pour la Méditerranée. Avant cela, il y avait le processus de Barcelone, c'était pas mal. Il y avait au moins cela. Sur un certain nombre de domaines, on peut coopérer, créer une dynamique, des habitudes de nous rencontrer, de nous parler. On a abandonné cela. Donc la francophonie et construire des institutions.

Et puis troisièmement, il faut aussi aborder le problème du futur. Le futur, c'est quoi ? D'abord la pollution, la Méditerranée, on est en train de la détruire physiquement, c'est un lac mort, c'est très clair et surtout, tous ces pauvres gens qui meurent réellement, c’est un cimetière.

Les deux morts de la Méditerranée ?

C'est carrément devenu un cimetière pour les hommes. Donc pour redonner la vie à la Méditerranée, le grand projet structurant, c'est dépolluer cette mer. Et puis cette question qui pose de sérieux problèmes et de morts, c'est la liberté de déplacement.

Et quand on parle d'énergie, c'est bien sûr l'énergie solaire, aussi la raréfaction de l'eau ?

Cette question devient très inquiétante, qui s'en occupe ? Donc il est temps que la rive Nord et la rive Sud se parlent absolument. Mais on ne sait pas à qui s'adresser…

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