Ma vie face au cancer (15/16) : toujours un coup d'avance

Le cancer est toujours là, les complications s'enchaînent. Et à un moment, Clémentine comprend que cette fois, "on ne rattraperait plus la maladie". Le moment est venu de "parler de tout ça pour de bon" : de la mort qui s'approche, de la moins mauvaise façon de dire au revoir aux gens que l'on aime.
Article rédigé par Clémentine Vergnaud, Samuel Aslanoff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 10 min
Ma vie face au cancer, épisode 15 : toujours un coup d'avance. (ARNAUD DUMONTIER / PHOTOPQR / LE PARISIEN / MAXPPP)

Clémentine Lecalot-Vergnaud était journaliste à franceinfo. Elle est morte le 23 décembre 2023 après s'être battue contre un cancer détecté un an et demi plus tôt. Elle avait 31 ans. Le 1er juin, le podcast auquel elle tenait tant était sorti. Dix premiers épisodes où elle racontait son combat face à la maladie, ses espoirs et ses doutes. Pour, disait-elle, "laisser une trace". Quelques semaines avant sa mort, depuis sa chambre d'hôpital, Clémentine a souhaité reprendre le fil de son témoignage. Voici le cinquième des six derniers chapitres de "Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine".   

Je ne dirai pas qu'on m'a annoncé quelque chose en tant que tel. Je dirais qu'on a fini par se rejoindre, avec l'équipe médicale. Après le takotsubo*, j'ai eu à peu près trois semaines de répit. Clairement, j'étais dans les choux à cause du malaise cardiaque, on ne va pas se mentir. Mais bon an mal an, sur le flanc du cancer, on était toujours présents. Et puis au bout de trois semaines, j'ai refait un incident au niveau des prothèses qui sont posées dans mes voies biliaires. Ils ont voulu organiser une opération, je me suis mise à cracher du sang le matin de l'opération, il a fallu décaler l'opération, les anesthésistes ne voulaient pas m'opérer dans ces conditions... Toute une succession de complications qui ont fait que moi, ce que je voyais, c'était qu'on courait toujours derrière la maladie, mais qu'elle avait toujours un coup d'avance. Qu'elle nous regardait de loin.

   

Et c'est marrant — je l'ai comparée à ça l'autre jour et ça ne me paraît finalement pas déconnant : c'est un peu La Casa de Papel. Cette série où tu as cet homme qui prévoit de braquer la fabrique de la monnaie et qui a toujours un coup d'avance sur les flics, et bien ! nous, c'était ça. La maladie, quoi qu'on prévoie, elle avait toujours un effet secondaire, elle avait toujours une complication à nous présenter pour nous limiter qui faisait qu'à un moment, même le serpent se mordait la queue : si on voulait faire un truc, il fallait en faire un autre mais on ne pouvait pas... Et au bout d'un moment, j'ai ressenti une énorme lassitude. Et j'ai compris. Moi, j'ai compris. On ne la rattraperait plus, la maladie.  

"La plus délicate des discussions sur l'arrêt des traitements qu'on puisse avoir"  

J'ai senti le regard des soignants un peu changer, mais sans vraiment me le dire. J'en ai beaucoup parlé avec la psychologue qui me suit à l'hôpital et je lui ai dit : à un moment, il va falloir qu'on ait ce discours de vérité avec les oncologues. Parce que moi, j'avais toujours refusé que ça me tombe dessus du jour au lendemain. "Bonjour madame Vergnaud, finalement, on ne peut plus rien, au revoir madame Vergnaud." C'était hors de question pour moi ! Et ça a été très bien entendu. Et il se trouve que le mardi, il y a la grande visite universitaire : normalement, il y a tous les internes, des externes, des infirmiers, plein de gens, tous les médecins... Et ce jour-là, ils ne sont venus qu'à quatre ou cinq. Je me suis dit : d'accord, ça y est. Enfin, on va parler de tout ça pour de bon.

Et mon oncologue m'a tenu le même discours que celui j'avais en tête : oui, désormais, on courait un peu derrière la maladie. Sur la nouvelle chimio qu'on avait essayé de mettre en place, une chimio avec un produit différent pour éviter un malaise cardiaque, on avait réussi à faire une séance et ils n'étaient même pas sûr de pouvoir m'en faire une deuxième. Et dans ces conditions, ça paraissait compliqué de continuer, médicalement mais aussi éthiquement. Et il a été très humain. Ça m'a énormément soulagée de l'entendre de sa bouche. Parce que quand vous en êtes là dans votre tête, il y a un moment où vous culpabilisez, où vous vous dites : c'est moi qui suis en train de lâcher, c'est moi qui n'ai plus cette force et qui manque de courage, finalement. C'est très culpabilisant. On se dit : je lâche... Mais pourquoi je ne m'accroche pas, en fait ? Et d'entendre que, même dans la voix des médecins, ce serait une erreur de s'accrocher à ce point-là, ça m'a fait énormément de bien. Et à partir de là, on a pu discuter des différentes options qui s'offraient à moi pour partir dans les meilleures conditions possibles, me correspondant, avec le plus de dignité possible. Et ça a été un moment... Tout comme j'ai dit que j'ai sans doute eu la meilleure annonce de cancer qu'on puisse avoir, je pense que j'ai eu la plus délicate des discussions sur l'arrêt des traitements avec eux.

"Je connais tous les médecins, toutes les infirmières, et ils me connaissent par cœur"

Il a donc été décidé de ne plus faire de traitement puisque désormais, ça ne servirait à rien, que la maladie va trop vite. Et se sont offertes à moi plusieurs possibilités : une hospitalisation à domicile que je ne voulais pas, parce que déjà, ça me faisait perdre ma place et mon lit dans ce service. Et ça, en cas de dégradation de la douleur, si vous n'avez pas la garantie de pouvoir être réhospitalisée dans votre service, c'est quand même très angoissant. Et puis l'hospitalisation à domicile, c'est des délais plus longs : le temps de contacter le médecin quand ça ne va pas, c'est très compliqué. Je sais aussi que du côté de Grégoire, c'était quelque chose de compliqué de se dire que je pouvais partir depuis l'appartement qu'on occupe, et continuer à l'habiter après. Ce que je comprends tout à fait. L'autre option, c'était d'être toujours à l'hôpital Paul-Brousse où je suis suivie, mais en unité de soins palliatifs où, finalement, c'est la même chose que le service où je suis là, mais avec plus de médecins, plus d'infirmiers... Une équipe un peu plus complète et renforcée, on va dire, mais c'est une équipe que je ne connais pas. On m'a proposé, et j'ai accepté, de rester dans ce service que je connais maintenant depuis un an et demi.

Je connais tous les médecins, toutes les infirmières par leur prénom. C'est une vraie famille, ils me connaissent par cœur, ils m'entourent très bien. Ils sont très à l'écoute, ils sont réactifs... Vraiment, ils donnent le meilleur d'eux-mêmes pour que tout se passe le mieux possible au jour le jour. Et j'ai décidé de garder cette équipe. Donc je serai hospitalisée jusqu'à ma mort dans cet hôpital. Avec des possibilités de permissions, pour l'instant en semaine et pas la nuit, parce qu'on trouve que c'est trop fragile — et j'en suis tout à fait d'accord. Mais si demain, je me sens bien et que je dis : écoutez, j'aimerais passer la journée chez moi, et bien ils me disent go ! On réévalue la douleur, on nous donne ce qu'il faut pour sécuriser la journée, pour que je ne me retrouve pas dans un moment difficile. Et puis je rentre chez moi si je veux.

"J'avais enfin le droit de lâcher"

La durée de survie, c'est très compliqué pour les médecins, parce que c'est des maladies qui ont des évolutions assez imprévisibles. On l'a bien vu dans mon cas, il y a eu des moments où c'était très positif pendant très longtemps et puis d'un coup, on enchaînait les dégradations. C'est clairement impossible de prévoir. On m'a dit : ça peut être plusieurs semaines ou plusieurs mois. Je ne sais pas. Peut-être que dans trois jours, je vais me dégrader et que ce sera fini. Peut-être que ça va prendre trois mois. C'est impossible à dire. C'est difficile à gérer, forcément, quand on est le malade, parce qu'on ne sait pas combien de temps il nous reste.

Globalement, au début, c'est vraiment le soulagement qui a dominé parce que j'avais enfin le droit de dire stop. J'avais enfin le droit de lâcher. On n'était plus dans tous ces effets secondaires, toutes ces opérations à programmer... On n'était plus là-dedans... Ça faisait beaucoup de bien. Et puis après, vient le moment où tu l'annonces à des proches. J'ai une famille qui vit assez loin, globalement. Donc ça veut dire revoir tes proches sans savoir si c'est la dernière fois que tu les vois. Ça, c'est extrêmement dur. Et désemparant parce que c'est souvent des très beaux moments d'émotions qu'on vit. Mais quand les gens repartent, on est ruinés. Sur le plan émotionnel, moi, je craque à chaque fois, parce que c'est terrible de ne pas savoir si tu vas les revoir. C'est terrible de dire au revoir comme ça à des gens que tu aimes.

Globalement, jusque-là, la peur était à peu près loin de moi. Et il y a eu un cas il y a quelques jours où là, la peur m'a étreinte de manière... C'était la première fois que je le ressentais aussi fort : de manière où ça comprime la cage thoracique, où on sent que la peur monte et qu'elle ne redescend pas. On peut avoir peur de plein de choses. Moi, sur le coup, c'était la peur de ce moment où, définitivement, je vais fermer les yeux et où, définitivement, je ne sais pas ce qui va se passer après.   

(*) Takotsubo : le syndrome de takotsubo, ou syndrome du cœur brisé, est une cardiomyopathie qui se déclenche souvent après un stress émotionnel ou une douleur intense. Les symptômes sont généralement les mêmes que ceux d'un infarctus.   

À suivre : l'expérience d'une vie.


Production : Clémentine Lecalot-Vergnaud et Samuel Aslanoff. Réalisation : Laure-Hélène Planchet. Prise de son : Samuel Aslanoff. Mixage : Raphaël Rasson. Visuels : Stéphanie Berlu, Kelsey Suleau. Coordination : Pauline Pennanec’h.

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