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Les infox de l'Histoire : "Moscou (1936-1938), les procès d'un complot imaginaire"

Comment et pourquoi, entre 1936 et 1938, Staline a-t-il éliminé quelques-uns des plus hauts responsables du parti communiste d'URSS, soupçonnés de comploter contre le régime soviétique ? Avec Stéphane Courtois, historien spécialiste des mouvances et des régimes communistes.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Les procès de Moscou. (ARCHIVES SNARK / PHOTO12 VIA AFP)

Le 2 mars 1938, dans une salle de la Maison des syndicats de Moscou transformée en tribunal, le procureur Shinseki réclamait la mort de plusieurs des plus hauts responsables du Parti communiste d'Union soviétique. Pour Staline, qui avait voulu ce procès, il fallait éliminer ces hommes qui lui faisaient encore de l'ombre. Des hommes qui, 20 ans plus tôt, avaient pourtant été avec lui et derrière Lénine, les principaux acteurs de la révolution de 1917. Nikolaï Boukharine, que Lénine avait naguère surnommé l'enfant chéri du parti, Sergueï Kirov, qui avait dirigé le gouvernement d'Union soviétique, et même Guenrikh Iagoda, l'ancien chef de la police politique, le NKVD. Tous condamnés à mort, comme l'avaient été quelques mois plus tôt d'autres acteurs de la révolution d'Octobre. Grigori Zinoviev, Lev Kamenev, Karl Radek, ou le maréchal Mikhaïl Toukhatchevski, fusillés après avoir été contraints d'avouer les crimes invraisemblables dont les accusait Andreï Vychinski.

Patrice Gélinet : à l'origine de ces Grandes purges, comme on les a appelées, il y avait aussi la lutte pour le pouvoir à la tête de l'URSS qui remontait à la mort de Lénine en 1924. Une lutte non pas contre des adversaires du régime communiste, mais au contraire entre ceux qui l'avaient porté au pouvoir en 1917.

Stéphane Courtois : Absolument. Et il faut bien dire que cette véritable guerre, une guerre interne, avait commencé avant même la mort de Lénine dès l'automne 1922, quand tout le monde, et Staline le premier, a compris que Lénine était physiquement hors service, si je puis dire, "out", et que donc voilà, le problème de la succession se posait. Et la bataille pour la succession a été absolument terrible parce que tous ces hommes étaient des révolutionnaires, j'allais dire sans foi ni loi. Dans une démocratie, quand le président meurt, il y a tout un processus qui est prévu à l'avance. Là il n'y avait rien de prévu et donc c'était une bagarre absolument infernale qui a duré une bonne dizaine d'années et qui s'est terminée au début des années 30 par le triomphe progressif de Staline, qui a exterminé ses adversaires politiques, pas seulement de les écarter politiquement, de les liquider physiquement. Mais évidemment, ces grands procès avaient aussi d'autres objectifs, parce qu'il s'agissait aussi d'envoyer un message à toute la population. C'est une espèce de pédagogie infernale : faire passer auprès de la population que si les choses marchaient mal, c'est parce qu'il y avait des saboteurs. Et ces saboteurs étaient évidemment de hauts responsables du parti, des traîtres qu'il fallait punir.

Pour les éliminer, évidemment, il faut un prétexte, et ce sera la cause immédiate au fond des Grandes Purges, l'assassinat du premier secrétaire du parti à Léningrad qui était Kirov.

C'est toute une histoire qui est loin d'être totalement réglée. Mais personnellement, j'ai même fait publier un livre là dessus il y a une quinzaine d'années. Je pense que l'assassinat de Kirov était un accident, c'est à dire qu'un communiste de Leningrad qui avait des comptes personnels à régler avec Kirov pour une histoire de femme et est allé l'assassiner tout simplement quasiment dans son bureau. Mais Staline a immédiatement compris l'intérêt qu'il pouvait tirer de cette affaire. Il a foncé à Leningrad avec toute une équipe et il a commencé à mettre en scène l'idée que cet assassinat de Kirov était le fruit d'un complot et d'un complot de ses adversaires politiques au sein du parti évidemment Zinoviev, Kamenev, etc. Et à partir de là, il y a une espèce de machine infernale qui s'est mise en route et qui a mené aux Grands Procès.

À l'issue de procès à charge, qui était sans avocat en public et au cours desquels on faisait avouer aux accusés des crimes qu'ils n'avaient pas commis des soi disant complots dont ils seraient les instigateurs. Comment est ce qu'on a pu arriver à leur faire avouer des choses qu'ils n'avaient pas faites ?

Ah mais vous savez, je sais bien que nous vivons en démocratie, nous n'avons pas ces habitudes, mais sous la torture, on peut faire avouer ce qu'on veut. Alors il y a plusieurs types de tortures qui ont été utilisées dans ces affaires-là : la torture physique bien entendu, avec parfois des accusés qui mouraient sous la torture, la torture psychologique, c'est à dire "si tu n'avoue pas ta femme, tes enfants seront liquidés", etc, et puis une torture psychologique très particulière aux communistes, c'est à dire : "Camarade, tu es un vieux camarade du parti depuis dix ans, 20 ans, 30 ans, et comment ose tu ne pas rendre un dernier service au parti en avouant que tu es un espion japonais, allemand, français, anglais, etc ?". Donc ces hommes sont littéralement brisés, brisés, jusqu'au point où le procès va être entièrement truqué. C'est à dire que tout ce que tout ce qu'on va voir en public dans la salle d'audience, c'est une pièce de théâtre préparée à l'avance. Tous les textes ont été mesurés au millimètre. Chaque acteur a appris son rôle, que ce soit les accusés, que ce soit Vychinski, le procureur. C'est tout à fait ahurissant. C'est d'ailleurs ce qui va donner l'impression aux gens qui assistent, et en particulier aux étrangers. Parce qu'il y a à un certain moment, ces procès vont être publics pour les journalistes et les observateurs étrangers qui vont dire oui à vous et et de manière tout à fait naturel.

Avec "Les infox de l’Histoire", la deuxième saison du podcast de la Fondation Descartes en partenariat avec franceinfo, voyagez à travers les époques au cœur des grands épisodes de désinformation. Patrice Gélinet et ses invités exposent et analysent les infox qui ont défrayé la chronique de l’antiquité à nos jours. Complotisme, désinformation, rumeurs, calomnies, emballements médiatiques… Une saison 2 de 8 épisodes pour décrypter les mensonges de l’Histoire.


Producteur : Patrice Gélinet
Réalisatrice : Vanessa Nadjar
Documentaliste/Attachée de production : Juliette Marcaillou
Technicien : Stéphane Thouvenin

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