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Salman Rushdie : "une intelligence et une pertinence hors du commun"

Le coup de cœur littéraire de Christophe Ono-dit-Biot, directeur adjoint de la rédaction du Point, comme chaque jeudi est "Joseph Anton", les mémoires de Salman Rushdie. Un livre très attendu.
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Il s'agit d'un double événement. Tout d'abord parce que pour la première fois l'écrivain
lève le voile sur ses années de clandestinité et ensuite parce que, depuis la
veille de la publication, la fondation iranienne du 15 khordad vient de
rajouter 500.000 dollars à la récompense qui attend celui qui tuera Salman
Rushdie. L' Ayatollah Sanei a ajouté : "il serait très approprié de l'exécuter en ce moment. Tant que l'ordre
historique de Khomeiny de tuer l'apostat Salman Rushdie (...) n'aura pas été
exécuté, les attaques (contre l'Islam) comme celle de ce film offensant le
prophète se poursuivront",
rapport au film L'innocence des
musulmans
, qui embrase ce qu'on appelle le monde musulman. Façon de
remettre une pièce dans l'infernal juke-box qui rythme, depuis 1989, la vie de
Salman Rushdie.

Le livre commence le 14 février 1989. Un
jour où l'écrivain se dit que la relation avec sa femme est compliquée. Le 14
février, c'est la Saint-Valentin, et ce n'est pas une déclaration d'amour, mais
de haine, qu'il va recevoir. Il ne la reçoit pas de sa femme mais de gens
qui se trouvent à des milliers de kilomètres de lui : un vieillard moribond
qui s'appelle Khomeiny et qui déclare que l'auteur des Versets Sataniques est
condamné à mort et que tous les musulmans, où qu'ils se trouvent, doivent
l'exécuter.

Il est tétanisé. "Je suis un homme mort" se
dit-il. Même s'il déclare à la télévision, lorsqu'on lui demande sa réaction
qu'il aurait voulu "écrire un livre encore plus critique" . Car lui ne trouve pas que son livre soit si critique. Autre coïncidence, il doit
se rendre le même jour à la messe anniversaire de la mort de son ami Bruce Chatwin,
l'écrivain explorateur. Il s'y rend et un autre copain écrivain, Paul Theroux,
lui glisse à l'oreille : "Si je comprends bien, la semaine prochaine, c'est
pour toi qu'on revient Salman..."

C'est un livre qui curieusement est plein d'humour. Salman
Rushdie disait à Christophe Ono-Dit-Biot que plusieurs fois, il
avait dit à ses amis : "Si on met de côté le fait que ce n'est pas du
tout comique, en fait c'est assez comique."

Le premier voyage qu'il a
fait à New York, par exemple. On l'avait mis dans une limousine blindée. Le monsieur de
la sécurité était sur les dents. Salman Rushdie lui avait demandé: "Excusez moi mais ça me semble un peu exagéré... Pour qui d'autre feriez
vous ça."
Et le type lui répond "Pour Yasser Arafat." Rushdie
avait alors éclaté de rire car la situation était ridicule. On avait aussi
accusé sa femme d'être un assassin potentiel, en lui disant : "si je
voulais vous assassiner, c'est exactement elle que j'enverrais. Elle peut
avoir caché une fourchette et vous la planter dans la nuque, et moi je perdrai
mon boulot."

Joseph Anton , c'est le nom qu'il avait dû
prendre en captivité en hommage au Tchekhov (Anton) de La Cerisaie, un héros assailli
par la brutalité du monde nouveau, et Tchekhov s'appelait Anton; et à un autre
écrivain, Joseph Conrad, parce que dans l'un de ses livres, le Nègre du
Narcisse le héros dit "Je dois vivre jusqu'à ce que je meure, n'est-ce
pas ?".

Dans ce livre, Rushdie parle de lui à la troisième personne. Pendant
des années, il ne voulait pas écrire sur ses années terribles, retourner dans
la pièce noire, comme il dit, mais il a tenu un journal et amassé des archives. Et au bout de 4 ans il s'est retrouvé avec toute sa vie mise en fiches. Il s'est donc dit qu'il pouvait
écrire. Mais pas à la première   personne, car il voulait être
objectif, se regarder lucidement, et la troisième  personne permet ce pas de
côté par rapport à lui même.

Rushdie n'est pas son vrai nom et il l'a découvert très
tard. Rushdie est le nom qu'avait pris son père qui vivait donc en Inde, "un homme sans Dieu mais fasciné par la naissance de l'Islam" . Un
père qui s'était choisi ce nom en hommage à Ibn Rushd, philosophe hispano-arabe
de Cordoue, qui fut en son temps l'un des tenants d'un Islam rationaliste
contre ceux de l'Islam littéral. Le père de Rushdie avait transmis à ses
enfants sa passion pour l'Islam, mais aussi une liberté presque totale vis-à-vis
de la religion et un scepticisme à toute épreuve. Quand la bataille a commencé Salman
Rushdie s'est donc dit qu'il avait effectivement le nom qui convenait. Son père voulait réécrire le Coran parce qu'il trouvait qu'il y avait une
certaine confusion dans la construction. 

Et c'est ce qui fait de ce livre un témoignage hallucinant qui
se lit comme un thriller ou l'on croise U2, les services secrets et John le carré. C'est aussi une magnifique réflexion sur l'Islam.

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