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Peut-on afficher son appartenance religieuse dans un bureau de vote ?

L’image de Jordan Bardella votant face à une femme portant un voile à Saint-Denis, ce dimanche 20 juin a suscité beaucoup de commentaires sur la question de la neutralité religieuse dans un bureau de vote. C’est en fait la neutralité politique qui importe dans ces cas-là.

Article rédigé par franceinfo - Nina Droff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Jordan Bardella signe le registre après avoir déposé son bulletin de vote dans un bureau de Saint-Denis, lors du 1er tour des élections régionales (20 juin 2021). (LUCAS BARIOULET / AFP)

Alors qu’il votait pour les régionales à Saint-Denis (93), Jordan Bardella, candidat du Rassemblement national (RN) en Île-de-France s’est trouvé face à une assesseuse portant un hijab pour signer le registre. L’image a rapidement été partagée sur les réseaux sociaux par le candidat lui-même.

Dans les commentaires, des élus RN et autres internautes ont été nombreux à s’en indigner. Certains évoquent notamment un “principe de neutralité” qui interdirait de porter un signe religieux dans un bureau de vote. Jordan Bardella a même annoncé sur LCI avoir "saisi" le préfet de Seine-Saint-Denis : “Porter un voile islamique et assurer le fonctionnement d'un bureau de vote me semble incompatible. Le voile n'est pas seulement contraire à la neutralité de nos institutions, mais aussi et surtout à la culture française”, estime le candidat RN. 

Les assesseurs ne sont pas soumis au devoir de neutralité religieuse

Le ministère de l’Intérieur affirme à franceinfo que les assesseurs n’ont pas d’obligation de neutralité religieuse: “Le statut des assesseurs ne représente pas le conseil municipal mais les candidats. Par conséquent, il ne s'agit pas d'une fonction dévolue par la loi, qui impliquerait une obligation de neutralité religieuse. Il en va de même pour le secrétaire du bureau de vote et les scrutateurs”, explique le Ministère de l’Intérieur. Cette assesseuse avait donc bien le droit de porter un signe religieux comme le voile, derrière un bureau de vote. Le maire de Saint-Denis a également réagi sur les réseaux sociaux pour la défendre: “Le port du voile ou d’un quelconque signe religieux n’est absolument pas prohibé pour les assesseurs. Si la neutralité politique est requise dans un bureau de vote, ce n’est pas le cas de la neutralité religieuse.

En revanche, cela ne vaut pas pour tout le monde: le président du bureau de vote est lui soumis à la neutralité religieuse. Comme le précise le Ministère de l’Intérieur “Le président du bureau de vote qui exerce cette fonction dévolue par la loi est soumis à une obligation de neutralité afin d'éviter que les électeurs ne soient soumis à une pression susceptible d'altérer la sincérité du scrutin.” À la différence des assesseurs, il représente l’État et ne peut donc pas arborer de signes religieux, ni de signes politiques.

Une obligation de neutralité politique 

Dans les commentaires, certains brandissent le "principe de neutralité” du Conseil constitutionnel pour justifier cette interdiction. Une circulaire du ministère de l’Intérieur relative au “déroulement des opérations électorales lors des élections au suffrage universel direct” évoque effectivement une “obligation de neutralité” pour les membres des bureaux de vote: “L'obligation de neutralité s'impose tant aux membres des bureaux de vote (tenue vestimentaire par exemple) qu'à l’organisation et à la décoration des bureaux de vote.”  Cependant, il n’est pas ici question de neutralité religieuse, mais bien de neutralité politique: “Cette obligation a vocation à prohiber l'intervention de tout message à connotation politique dans les locaux aménagés pour le vote et ainsi toute forme de pression ou de propagande dans la salle de scrutin.

Les signes religieux autorisés pour les électeurs

Ce n’est pas la première fois que la question des signes religieux dans les bureaux de vote fait polémique, notamment pour les électeurs. En 2015, un assesseur avait demandé au grand rabbin de Toulouse de retirer sa kippa pour pouvoir voter tandis qu’une habitante d’Orange avait été forcée de retirer son voile pour voter aux présidentielles de 2017. Les deux avaient ensuite déposé plainte, car comme l’indique le ministère de l’Intérieur, “aucune règle juridique ne limite la liberté vestimentaire des électeurs, dans le respect habituel des bonnes mœurs. La tenue portée ne doit cependant pas faire obstacle au contrôle de l'identité de l'électeur. Un voile encadrant le visage n'empêche pas le contrôle de l'identité de l'électeur. En revanche, si l'identité d'une personne ne peut être établie en raison d'un voile masquant la bouche et le nez, le bureau de vote peut lui demander de retirer ce voile afin de contrôler son identité. En cas de refus, la personne ne peut être admise à voter”. Les électeurs peuvent également porter une kippa ou un voile en se rendant à l'isoloir.

Une autre question soulevée par ce principe de neutralité est celle du lieu du bureau de vote. En 2017, le comité de la laïcité de l'Auvergne-Rhône-Alpes avait par exemple dénoncé le fait qu’un bureau de vote soit installé dans un établissement scolaire privé comme “une atteinte à la neutralité de la République”. En effet, l'obligation de neutralité concerne également “l’organisation et à la décoration des bureaux de vote”. Mais encore une fois, les bureaux de vote doivent respecter le principe de neutralité politique: “Tout affichage ou diffusion de messages politiques de nature à perturber le bon déroulement des opérations électorales est proscrit.” Ce qui peut être proscrit est, par exemple, d’afficher les couleurs d’un parti ou d’une liste dans le bureau de vote.

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