Le sens des mots. Mémoire, un exercice mental mais aussi politique
Tout l'été sur franceinfo, Marina Cabiten et la sémiologue Mariette Darrigrand s’arrêtent sur les termes qui ont marqué l’actualité de l’année écoulée. Aujourd'hui, le mot "mémoire".
Du général de Gaulle à la libération d’Auschwitz, la mémoire est très présente, encore cette année, dans la politique d’Emmanuel Macron. Mémoire, un mot cher au président de la République depuis le début de son mandat, on repense à son itinérance mémorielle en 2018.
franceinfo : Mariette Darrigrand, vous êtes sémiologue spécialisée dans l'analyse du discours médiatique et dirigeante du cabinet Des faits et des signes. La politique mémorielle est récente, elle s’est développée au début des années 90 avec les premières lois dites mémorielles, c’est-à-dire en faveur du devoir de mémoire. Mais le mot mémoire lui est l’un des plus anciens.
Mariette Darrigrand : On a des traces d’une racine indo-, archéologique, -men-, qui en latin donne le mot "mens", l’esprit, le mental… La "mémoire" vient de là via la forme verbale memini : je me souviens, je fais un effort mental… De même avec l’anglais "mind", esprit : la mémoire c’est notre esprit quand il fait un travail de réminiscence. Il ramène dans le présent des éléments qui étaient enfouis, que ce soit pour des raisons volontaires ou non.
Mais la mémoire n’est pas qu’individuelle, elle a aussi une forte dimension collective et c’est de cette mémoire que s’empare le politique. "Commémorer" veut d’ailleurs dire mettre nos mémoires ensemble. Quant au “devoir de mémoire”, c’est encore autre chose.
Oui car cette expression instaure une obligation morale de se souvenir d’un événement très sombre, pour ne pas le laisser se reproduire. La mémoire est donc ici très affective mais également subjective puisque l’on porte un jugement sur ces moments passés.
D’ailleurs depuis que l’expression “devoir de mémoire” est devenue courante, les historiens mettent en garde : mémoire et histoire ne sont pas synonymes.
Ce que vous dites me fait penser à la muse de la mémoire, nommée Mnémosyne. Elle savait non seulement se souvenir mais aussi raconter des histoires pour laisser des traces, non pas en mentant mais en faisant marcher son mental pour ne pas oublier certains faits. Vue à cette source, la mémoire apparaît comme à la fois le souvenir de ce qui s’est passé, mais aussi une construction a posteriori. D’ailleurs dans l’Antiquité où n’existait ni Power Point ni vidéoprojecteurs, les tribuns, genre Jules César, pour se rappeler leurs discours, se les figuraient mentalement comme des maisons : chaque phrase était un mur ou une porte, chaque paragraphe un étage, etc. On appelait cela les arts de la mémoire.
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