Enquête Radio France et Le Monde : Nestlé et d’autres industriels ont purifié illégalement de l’eau contaminée pour continuer de la vendre

Jacques Monin, directeur des enquêtes et de l’investigation de Radio France et Marie Dupin, journaliste à franceinfo qui a signé cette enquête, répondent aux questions des auditeurs.
Article rédigé par franceinfo, Emmanuelle Daviet
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Nestlé est l'une des entreprises pointées par l'enquête de Radio France et du journal Le Monde. (ALAIN DELPEY / MAXPPP)

Selon une enquête du Monde et de la cellule investigation de Radio France, Nestlé et d’autres industriels ont caché au public que l’eau qu’ils prélevait était contaminée. Jacques Monin et Marie Dupin répondent aux questions que leur relaie la Médiatrice de Radio France.

Emmanuelle Daviet : Les eaux contaminées ont été purifiées en ayant recours à des traitements frauduleux. Marie Dupin, des auditeurs souhaiteraient savoir ce qui vous a le plus surpris au cours de votre investigation ?

Marie Dupin : Ce qui nous a d’abord le plus surpris, c’est le côté tentaculaire de cette affaire qui relèverait – ce sera à la justice de le dire – de la tromperie, puisque cela touche à peu près tous les Français : quand nous achetons une eau en bouteille, nous pensons qu'elle est pure. Or on se rend compte qu’elle a été contaminée et traitée exactement comme l’eau du robinet. Donc c’est une tromperie qui concernerait absolument tous les consommateurs. L’autre chose qui nous a le plus surpris avec mon confrère du Monde, c’est que le gouvernement était au courant de cette affaire. Et là encore, c’est tentaculaire puisque beaucoup d’administrations sont concernées : des ministères, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, l’Inspection générale des affaires sociales ou des agences régionales de santé.

Emmanuelle Daviet : Jacques Monin, une auditrice vous demande ceci : "On imagine que les intérêts financiers en jeu sont énormes. Avez-vous reçu des pressions pour que vos informations ne sortent pas ?"

Non. Les gens qui sont à la tête de ces sociétés savent que les pressions ne servent à rien. Les pressions directes contre nous en tout cas. En revanche, il y a eu un stratagème qui s’est mis en place. Par principe, nous informons la personne (ou l’entreprise) qu’on va mettre en cause des différents éléments qu’on a trouvés pour lui permettre d’y répondre. Et on le fait suffisamment à l’avance pour lui laisser le temps de préparer cette réponse. Dans ce cas précis, Nestlé en a profité pour mettre en place une contre-communication, une stratégie destinée à affaiblir l’impact de nos révélations. Sachant qu’on allait raconter qu’ils étaient pris la main dans le pot de confiture, ils ont préféré faire leur "coming out", avouer eux-mêmes les fautes commises, mais avec leurs propres éléments de langage qu'ils ont transmis à un quotidien dont ils devaient considérer – j’imagine – qu’il était bienveillant à leur encontre. Les Échos ont publié lundi dernier un article pour expliquer que la multinationale a utilisé des procédés interdits, mais pour "protéger le consommateur". Nestlé a laissé entendre qu'elle avait un peu perdu de vue l’aspect réglementaire des choses. En réalité, personne n’a rien compris à ce qui avait été écrit, mais d’autres médias ont repris ces éléments de langage et nous avons dû avancer la diffusion de notre enquête : nous avons considéré que ces informations étaient parcellaires et incompréhensibles et que nous devions publier la vérité. L’opération Nestlé a fait flop.

Marie Dupin : Ajoutons que le papier est sorti dans la presse économique lundi matin, quelques heures seulement après que Nestlé – à qui on avait envoyé nos questions il y a dix jours – nous a retourné ses réponses le dimanche soir ! Dès le lendemain matin, leur "storytelling", leur version de l’histoire, était rendue poublique.

Emmanuelle Daviet : Jacques Monin, au-delà des questions essentielles de transparence, quel problème majeur pointe votre enquête ?

Cela montre quelque chose de plus grave que la tromperie : la planète ne peut plus absorber tout ce qu’on envoie dans la Terre, que ce soit des métabolites de pesticides, des polluants éternels et toutes sortes d’autres produits. On se rend compte qu’il n’y a plus de véritable eau pure. Certaines sources qui étaient pures ne le sont plus aujourd’hui. On peut se demander si l’eau en bouteille est encore pertinente ; cette question se posera à terme. Cela signifie aussi qu’on va devoir mettre en place des systèmes de filtration supplémentaires qui seront payés, de toute façon, par le consommateur. Ce sont ainsi des milliards d’euros qu'il faudra dépenser pour réparer les erreurs commises depuis plusieurs générations.

Emmanuelle Daviet : Marie Dupin, les auditeurs se demandent quelles sont les conséquences de votre enquête ?

Elles interviendront sans doute à long terme. Il y aura des conséquences politiques et des conséquences juridiques. Certains parlementaires français se sont saisis du sujet, une question écrite a été posée à la Commission européenne que la France aurait dû prévenir dès qu’elle a été au courant de la fraude. Cela n'a pas été le cas. C’est donc une affaire nationale, mais c’est aussi une affaire européenne, voire internationale. Ensuite, il y aura les aspects juridiques : deux enquêtes préliminaires sont ouvertes pour tromperie. L'usine de Perrier dans le Gard, n'est à ce jour concernée par aucune enquête, alors qu’on sait que des traitements interdits y ont été utilisés et y sont encore utilisés. L'association de consommateurs Foodwatch a déjà porté plainte, d’autres suivront peut-être, pour tromperie. Sans aucun doute, cette affaire aura de nombreuses conséquences.

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