Scolarisation des enfants roms : des camions-écoles dans le Nord
En théorie, la loi ne fait aucune différence. Qu'ils soient Français,
Américains, Chinois, Papous ou Roms, tous les enfants de 6 à 16 ans ont une
obligation d'instruction sur le territoire français, et donc un droit à la
scolarisation (voir la circulaire sur la scolarisation des enfants étrangers
ici). Mais en réalité : un tiers seulement des 2.000
enfants roms en âge d'être scolarisés le sont, et souvent de manière très
instable.
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Dans la métropole lilloise, l'enseignement catholique a créé un service
de "camions-écoles" qui se déplacent au fil de la semaine de
campements en terrains vagues. Un camion bleu pour les maternelles, vert pour
les primaires, et jaune pour le collège. Au volant de ce camion jaune, Pierre
Boisseleau, professeur des écoles de 48 ans, se rend par exemple deux matinées
par semaine dans le camp des "Quatre Cantons" à Villeneuve d'Ascq.
"Vous voyez à l'intérieur de ce
camion que je peux conduire avec un permis B ordinaire, tout est aménagé. C'est
une classe miniature, avec sept petites tables, sept tabourets, un tableau bien
sûr, et toutes les fournitures scolaires nécessaires jusqu'à la peinture si je
veux faire une séance d'arts plastiques ", décrit Pierre qui a choisi
ce type d'enseignement, il y a maintenant dix ans. Chaque soir, il ramène ce
véhicule scolaire au collège Saint-Adrien pour en recharger les batteries. Cela
permet d'avoir à bord du chauffage et de l'électricité pour travailler même
parfois sur ordinateur.
Niveau faible, motivation impressionnante
Ce matin-là, dans le camion jaune : deux frères de 12 et 13 ans, Florin
et Georgi, ainsi que Michaela 11 ans. Dès qu'ils voient le véhicule coloré ils accourent. Leur
niveau est très faible. Un seul des trois sait lire. Et leur français est
encore pauvre. Pierre Boisseleau a une formation spéciale pour enseigner à des
enfants en difficulté et à des enfants de langue étrangère.
Consciencieux, il a appris des
bases de roumain pour mieux échanger avec eux. "Ce sont des gamins très en retard, mais très motivés. Souvent, ils me
répètent qu'ils veulent que je leur apprenne à lire et à écrire en belles
lettres, en attaché. Et leurs parents les poussent pour qu'ils viennent au
camion. Pas question pour eux d'aller mendier dans le métro. Quand certains le
font, ça n'est pas par envie. Contrairement à ce que disent certains
politiques, moi ici,
je vois une vraie volonté d'intégration malgré une misère terrible " constate Pierre Boisseleau.
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A la sortie du
camion, à midi, quand arrive la fin des cours, Valentina et Constantin viennent
chercher leurs enfants et se montrent très reconnaissants envers les
enseignants qui font le choix de venir jusqu'à eux. "Je suis ravie qu'il y ait ce camion école. Je remercie le seigneur
Jésus chaque fois qu'il se gare ici parce que ça nous apporte de la joie.
C'est une petite chance de sortir de la
misère" , répète sans cesse Constantin. "Mon rêve, ce serait que mes filles deviennent professeur et avocat.
On est vraiment pauvre vous savez. Pour nous les adultes, de toute façon tout
est joué, mais pour les petits, il reste de l'espoir ", ajoute
Valentina. Ils ne s'expriment bien qu'en roumain.
Michaela 11 ans tient, elle, à montrer ce qu'elle a appris. Elle compte
en français, récite les jours de la semaine. Michaela confie qu'elle voudrait
"savoir lire pour un jour trouver
un travail, avoir une maison, apprendre à conduire et se marier ". Les
rêves assez ordinaires en somme d'une petite fille de son âge. Il faut rappeler
que les Roms sont un peuple sédentaire et non un peuple nomade.
Les évacuations à répétition nuisent à l'apprentissage
Pour Pierre Boisseleau, le camion-école ne doit être qu'une étape. Son
but, son souhait, c'est que Michaela, Georgi et Florin puissent aller bientôt à
l'école, la vraie ! Mais scolariser un enfant qui vit dans un camp rom c'est
un parcours du combattant. D'abord de nombreuses communes exigent un
justificatif de domicile. Beaucoup d'enfants se voient opposer un refus
d'inscription car ils ne peuvent pas fournir ce document.
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français
Autre obstacle : les évacuations à répétition. En France 10.000 Roms
ont été évacués de leur campement au premier semestre 2013. Cela implique à
chaque fois un déménagement forcé vers un autre terrain, et les enfants
reviennent ensuite avec des soucis qui nuisent à leur apprentissage. Véronique
Decker directrice de l'école Marie Curie de Bobigny en fait l'expérience chaque
année. "Chaque
évacuation est un traumatisme. Les enfants sont réveillés par les CRS à l'aube;
leurs mères hurlent. Leurs parents pleurent. Et comme tous les enfants du
monde, pour dépasser ce traumatisme, ils effacent ces évènements de leur
mémoire. Et sans qu'on comprenne exactement pourquoi, ils effacent en même
temps leurs derniers apprentissages. Il faut tout reprendre à zéro comme si l'enfant
ne savait plus lire, plus compter ", explique la directrice.
Les évacuations de camps sont souvent synonymes de régression scolaire,
et parfois même tout simplement de rupture du parcours scolaire. Des
enseignants, du jour en lendemain, ne voient plus revenir certains élèves, sans
savoir s'ils sont ou non repartis en Roumanie.
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