Marseille : dans la cité Frais Vallon, un an après la visite de Valls
Au milieu des
barres HLM, le trafic de drogue est toujours visible et la tension palpable.
Surtout aux bâtiments N et K, les plus réputés. Des guetteurs font le pied de
grue au pied des nombreuses tours et barres HLM quelque fois très délabrées.
Dans cette cité, un point de vente de drogue rapporte entre 10.000 et 30.000
euros par jour. Il n'est pas question de sortir un calepin ou un micro sous
peine d'être évacué sur le champ. Les rares habitants qui acceptent de témoigner
ne le font qu'anonymement, à l'abri des regards.
Approchées
discrètement, deux mamans ont accepté d'ouvrir leur porte le temps de raconter
leur vie au quotidien dans ce quartier. "On n'est jamais tranquilles. On ne
peut pas sortir de chez nous sans être contrôlées, suivies, fouillées parfois
par les jeunes trafiquants de drogue qui tiennent le quartier. Alors, on ne sort
que pour l'indispensable : les courses et l'école pour amener et venir
rechercher les enfants", racontent les deux femmes qui confient leur souhait
d'obtenir un logement ailleurs.
En attendant, elles ne laissent absolument jamais sortir leurs enfants seuls, même les plus grands qui sont au collège. "Je ne veux pas qu'ils se mêlent de tout ce qui se passe ici : la drogue, la violence. Moi non plus je ne m'en mêle pas, je ne parle à personne sauf aux membres de ma famille. J'ai un voisin qui s'est plaint un soir, sa voiture a été brûlée le lendemain ", explique la mère de famille.
Quand on demande aux deux femmes si elles ont vu évoluer la situation depuis la visite il y a un an du ministre de l'intérieur Manuel Valls, elles reconnaissent qu'elles ont vu arriver les CRS qui ne venaient jamais avant. "En leur présence c'est vrai nous sommes un peu rassurées, Mais le problème c'est que dès qu'ils tournent les talons, les trafics reprennent de plus belle. ", déplorent-elles.
L'intervention du GIPN
Frais Vallon fait partie des 19 cités ciblées par l'opération reconquête du territoire, avec 57 jours de présence des CRS en cumulé depuis le mois d'avril. 150 délinquants ont été interpellés. Des centaines de milliers d'euros saisis ainsi que des armes et de la drogue. Le GIPN est venu détruire un squat qui était tenu par les dealers. "Il faudra revenir et revenir encore, c'est un travail de longue haleine ", disent les responsables policiers qui mènent ces opérations.
Mounir, 28 ans, observe ce ballet. Lui travaille en CDI dans une structure publique depuis plus d'un an. "C'est une nouvelle vie pour moi, et ca me plait bien ", confie-t-il. Il dit s'en être sorti grâce à ses parents et grâce au sport. Il a fait de la compétition. "Ca m'occupait et ca m'a permis de ne pas trop toucher au business ", commente ce jeune homme.
"Ici dans les cités, si tu es un mec et que tu as 20 ans, tu as forcément été tenté par cet argent facile de la drogue. Il y a tellement rien à faire et tellement de pauvreté. Si tu veux t'offrir le moindre truc, t'as besoin de fric. Le cannabis, ca t'en procure très vite. Moi aujourd'hui j'ai mûri, je sais que le jeu n'en vaut pas la chandelle ", raconte Mounir avant de confier que tous les récents règlements de compte lui mettent un coup au moral : " C'est bizarre pour nous. On jouait au foot avec des gars, on allait à la plage avec eux il y a quelques années, et aujourd'hui ils se font vider un chargeur dans la tête, ça donne le vertige ".
Selon Mounir, le contexte social est l'une des principales causes du trafic de drogue. A Frais Vallon, le chômage touche 40 % des habitants. Les enseignants se plaignent de l'absentéisme scolaire.
"La présence policière, ca ne suffit pas"
"C'est à ces fléaux-là qu'il faut s'attaquer " dit Corine Vuillaume. Elle est une figure du quartier, pharmacienne à Frais Vallon depuis 30 ans et très investie dans le milieu associatif. Il y a un an, quand Manuel Valls est venu en visite, elle l'avait interpellé tout haut devant les caméras dénonçant l'abandon qu'a subi cette cité. Un an plus tard, elle juge qu'encore trop peu a été fait. "Des policiers, oui c'est bien on en a forcément besoin. Mais ca ne suffira pas. Il faut proposer aux jeunes des alternatives au trafic, leur trouver des emplois. Il faut mettre le paquet aussi sur l'éducation et les activités sociales et culturelles ".
Elle dénonce les coupes opérées dans les subventions aux associations de toutes sortes. "Sans moyens, nous menons moins d'actions. Or ces actions ce sont des remparts contre le trafic et la violence ", ajoute-t-elle presqu'en colère. Corinne Vuillaume refuse d'être fataliste et fait remarquer qu'il y a aussi beaucoup d'énergie positive à Frais Vallon, de richesses et donc des raisons d'espérer. Elle évoque les jeunes filles qui ont grandi dans la cité, ont travaillé d'arrache-pied et ont réussi à faire des études supérieures dans un contexte pourtant hostile.
A la sortie du collège, Nayla dit y croire, elle aussi. A 12 ans elle s'accroche à son rêve : celui de devenir médecin. "Dans ma classe, certains élèves disent qu'ils veulent devenir guetteur ou revendeur pour gagner plein d'argent. Ils veulent prendre le même chemin que leur grand frère. Moi je veux éviter ce chemin-là. Je ne veux pas finir en prison et encore moins tuée en une seconde, comme ça dans la rue ", explique la toute jeune fille. Son père confie que malgré ses maigres revenus et ses difficultés, il économise en ce moment pour l'inscrire dans une école privée ailleurs pour la prochaine rentrée: "loin de l'agressivité, loin de la violence " dit-il.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.