Les auto-entrepreneurs font-ils de la concurrence déloyale ?
C'est surtout dans le secteur du bâtiment que les auto-entrepreneurs sont soupçonnés de concurrence déloyale. Certains proposent leurs services pour repeindre une maison, ou pour faire de la maçonnerie.
Et cela agace depuis longtemps les artisans qui travaillent dans ces corps de métier. Patrick Liébus compte parmi les opposants les plus virulents aux auto-entrepreneurs. Il est président de la CAPEB, la Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment : "Les auto-entrepreneurs n'ont pas les mêmes obligations que nous. Ils travaillent avec une TVA à 0%, alors que pour nous, en réhabilitation-entretien, elle est à 7 %, et pour les travaux neufs, elle est à 19,6 %. Les auto-entrepreneurs ont forcément des tarifs beaucoup plus intéressants qu'une société classique, les prix sont parfois divisés par deux, voire par trois. En plus très peu d'auto-entrepreneurs s'assurent dans le secteur du bâtiment. Pour exercer nos activités, il est obligatoire d'avoir une assurance décennale. Si une installation faite par un auto-entrepreneur est mal faite, qu'il y a des inondations, le client n'aura que les yeux pour pleurer car il n'aura aucune garantie."
"On ne fait rien de mal"
Malgré toutes ces critiques, Philippe Hequet, un auto-entrepreneur quinquagénaire qui s'est lancé il y a un peu plus de deux ans en région parisienne, près d'Etampes, n'a pas l'impression de faire de la concurrence déloyale.
Il hausse les épaules et rétorque qu'il fait les besognes que les entreprises traditionnelles ne peuvent ou ne veulent pas faire : "Si un patron me dit que je lui pique du travail, je ne suis pas d'accord. Je ne fais pas de gros chantiers, je ne pourrais pas les assumer. Je ne fais que des petites bricoles, pas des choses importantes : trois mètres de carrelage, cinq mètres de faïence. Un plombier, dans mon coin, il va mettre deux ou trois mois pour venir, il est très occupé. Alors que nous les auto-entrepreneurs, s'il y a le robinet d'une petite grand-mère qui fuit, on peut lui changer le joint très vite, et elle est contente. On ne fait rien de mal. Cette activité me rapporte un petit peu, mais je ne roule pas en Mercedes : peut-être 1.300 euros mensuels, 2.000 euros pour les bons mois. Certains auto-entrepreneurs travaillent comme des sagouins, mais moi, j'ai réussi à survivre au bout de deux ans, mes clients me rappellent, ça veut dire que mon travail est bon. "
Outre le bâtiment, la présence des auto-entrepreneurs est contestée dans d'autres domaines. Certains proposent de la formation et des conseils en informatique.
Et là aussi, il y a des plaintes. Denis Szalkowski possède une petite société spécialisée dans ce secteur d'activité dans le département de l'Eure. Il regrette la concurrence des auto-entrepreneurs. Plus grave, il estime que ce nouveau régime favorise le travail au noir : "Aujourd'hui un auto-entrepreneur qui fait de la prestation de services a un plafond annuel de facturation de 32.600 euros. Plutôt que de dépasser ce seuil et devoir abandonner le régime de l'auto-entrepreneur, certaines personnes s'arrangent. J'ai eu l'occasion de discuter avec des auto-entrepreneurs qui travaillaient dans l'informatique, et ils m'ont clairement dit que pour éviter de dépasser la limite, ils passaient au travail au noir. Il n'y a plus de factures, plus d'impôt sur le revenu, plus de charges. C'est une vraie question."
Pas de suppression du statut d'auto-entrepreneur
Interrogé à ce sujet, le président de la fédération des auto-entrepreneurs, Grégoire Leclercq fait le raisonnement inverse.
Lui considère au contraire que ce régime a permis à de nombreuses personnes de sortir de l'illégalité : "Vous ne pouvez pas prétendre aujourd'hui que nous sommes les premiers à faire du travail au noir, alors que le statut de l'auto-entrepreneur a permis à au moins 50.000 personnes d'abandonner l'économie parallèle. On a légalisé certaines activités grâce à un régime qui offre plus de simplicité, et sans cela ces activités seraient toujours restées au noir. Il y a un droit à entreprendre pour tous, qui a tenté beaucoup de Français, dont près de 300.000 étaient au chômage. 5 milliards de chiffre d'affaire annuel pour les auto-entrepreneurs, 600 millions de recettes fiscales pour l'Etat, ce n'est pas rien. Peut-on aujourd'hui se permettre de renvoyer dans l'assistanat des gens qui se sont pris en main, qui ont créé une activité et qui pour beaucoup en sont satisfaits."
Mais pour le nouveau pouvoir socialiste il n'est, semble-t-il, pas question de supprimer le statut de l'auto-entrepreneur. L'opposition serait trop forte. Le gouvernement pourrait en revanche faire des modifications afin de lutter contre les abus.
Certaines sociétés, plutôt que de recruter des salariés, préfèrent embaucher des auto-entrepreneurs. Il y a moins de charges à payer et on peut se séparer plus facilement des personnes sans avoir à verser d'indemnités. Le gouvernement cherche les moyens de combattre plus efficacement contre ces dérives
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