La Turquie est-elle en train de s'islamiser ?
D'abord la rue. Il y a à Istanbul moins de femmes voilées
qu'à Paris. Il ne faut pas oublier que la Turquie est musulmane mais profondément
laïque comme l'a voulu le fondateur de la République Atatürk. Pourtant, depuis
le printemps dernier, il y a eu les immenses manifestations de Gezi en plein
centre d'Istanbul et les fins de semaines sont souvent agitées. Car Erdogan est
en train d'appliquer son programme. C'est le constat qu'a fait Eray Hokelek.
Au début, il n'y prêtait pas attention. Mais quand les interdictions
sont tombées – alcool, avortement – ce spécialiste des médias sociaux, un peu rond, tranquille, rien d'un gauchiste, s'est retrouvé dans la
rue pour protester contre ces nouvelles contraintes pour une société qu'il ne
veut pas.
Même chose pour Meve Ozçelik. Cette étudiante a découvert
comment l'AKP s'immisçait dans les dortoirs, au nom de la morale :
"À la rentrée de septembre, on a constaté qu'il n'y avait plus de garçons dans la
cité, ils avaient déménagé, alors qu'on vivait bien ensemble depuis deux ans."
Une frange conservatrice avec des religieux et des militants
C'est un autre monde qui désormais se voit. Mais cela dépend beaucoup des quartiers. A Kasim Pasha, celui d'Erdogan, on trouve même
des tenanciers de café en habit religieux et longue barbe comme sortis d'un
autre siècle. Hayrullah Yosma tient "Les
petits fils de Fati". Fati c'est le
sultan, qui a fondé l'empire ottoman. Et aujourd'hui, il apprécie le tournant pris par la Turquie, il regrette
seulement que cela ait pris 12 ans.
Il y a aussi des partisanes qui voient leur combat aboutir,
comme Fatma Benli. Elle est avocate, elle porte le voile et elle a pu reprendre
ses activités après des années de frustration. Elle ne parle pas
d'islamisation, mais de "normalisation ".
Au-delà du fait qu'Atatürk doit se retourner dans sa tombe,
faut-il se faire du souci comme dans certains pays voisins où l'Islam impose sa
loi ? "Non ", diront tous les observateurs, du moins sur une islamisation
dure, ou un risque de fracture dans la société. "Erdogan ressemble
plus à un évangéliste qu'à l'Ayatollah Khomein i", ironise le chercheur et
professeur de Sciences-Po Aktar Cengis. Il ajoute : "Les Turcs ne sont
pas prêts à gober n'importe quoi." Les élections municipales fin mars
expliquent aussi cette polarisation.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.