Hénin-Beaumont : les premiers pas du FN
Steeve Briois se veut rassurant, rassembleur. Dans son bureau, il a
fait installer le buste de Jean-Jaurès qui selon lui était trop discret dans le
hall de l'Hôtel de Ville. Au dessus de Jean-Jaurès, il y a la photo officielle
de François Hollande. Steeve Briois explique qu'il gère les affaires courantes
sans idéologie, avec pragmatisme. Il prépare le budget pour le 20 avril prochain.
Il répond aux demandes de rendez-vous sous lesquelles il croule depuis deux
semaines : de la part d'associations, de chefs d'entreprise, de simples
citoyens.
La LDH persona non grata
Le travail
ordinaire d'un maire en début de mandat en somme. Sauf que lui prend déjà par
ailleurs une décision pour le moins politique. La mairie laissait depuis une
dizaine d'années à la disposition de la LDH, la Ligue des droits de l'Homme un
local tout proche de l'Hôtel de Ville, avec une vitrine sur la rue. Steeve
Briois met fin à ce prêt qui était "injustifié " selon lui, et il
l'annonce sur France info.
"Les électeurs nous ont aussi élus pour ce
type de décisions. La Ligue des droits de l'Homme est une association
politisée. Elle n'a eu de cesse pendant la campagne électorale de dire tout le
mal qu'elle pensait de nous. Alors on coupe les liens. Point final. A partir du
moment où ces militants s'immiscent dans la vie de la municipalité avec des a
priori hostiles, on ne va pas les laisser profiter d'un local municipal. On
serait maso! Fini l'hébergement et fini la subvention. Il iront ailleurs ",
explique Steeve Briois.
La section locale
de la LDH, qui depuis longtemps s'est prononcée contre l'extrême droite, ne
s'attendait pas à entretenir les meilleures relations du monde avec la nouvelle
municipalité. Mais ses responsables accusent tout de même le coup d'une telle
mise en demeure.
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Alain Pruvot le président de la section espère recevoir des
soutiens dans les prochains jours. Malgré tout, il cherche déjà un autre local
dans une commune voisine pour continuer dit-il "avec encore plus de
détermination à défendre les droits de tous à Hénin-Beaumont ". Alain
Pruvot et les autres membres de la LDH locale annoncent la mise en place d'un
"comité de vigilance " et promettent de "recenser
toutes les dérives à craindre ".
Une atmosphère lourde chez les agents communaux
Cette décision
radicale de chasser de leur local les membres de la Ligue des droits de l'Homme
serait-elle un premier signe de malaise dans la commune ? Un début de malaise
qu'on devine aussi chez certains agents municipaux d'Hénin-Beaumont.
Chez les
750 employés de la commune, dès le lendemain de l'élection, il a régné une
atmosphère assez lourde. Les deux secrétaires du maire ont sans attendre quitté
leurs postes. Plusieurs autres agents au téléphone nous ont confié leur
inquiétude, leurs interrogations. Mais aucun n'accepte de témoigner au micro.
Des élus CGT ont annulé à la dernière minute le rendez-vous qu'ils nous avaient
fixé. Frilosité, prudence de toute part.
Seule Force ouvrière accepte de nous décrire cette ambiance. "Ç a a créé une
ambiance particulière, un climat malsain. Dès le lundi qui a suivi l'élection,
il y a des employés qui ont décidé de révéler leurs opinions politiques, de
dire tout haut qu'ils étaient Front national. D'autres agents, du fait de leur
couleur de peau, ont eu peur. D'autres encore ont expliqué qu'ils ne voulaient
pas mêler leur image à celle du FN. Ils ont demandé à changer de poste. Enfin
certains employés sont partis mais ça, ca concerne surtout les directeurs. Vous
imaginez bien que les petits comme nous, les fonctionnaires de catégorie C,
même si on avait envie de mettre les voiles, on ne peut pas partir comme ça.
Les postes libres ne courent pas les rues et on a des familles à nourrir ",
commente Philippe délégué syndical depuis plus de 20 ans à la mairie
d'Hénin-Beaumont.
"Notre
tâche à nous, ca a été de répondre à tous ces agents qui ont émis des
inquiétudes, qui avaient des interrogations. On leur a dit qu'on les défendrait
quoi qu'il en soit. On leur a expliqué que la nouvelle majorité, même FN, ne
pouvait pas faire n'importe quoi, qu'il y avait des lois, des statuts, qu'il
existe des règles. Ça a calmé les gens dans l'ensemble. Nous, on sera vigilent
de toute façon sur la question des salaires, sur les primes, sur d'éventuels
délits de faciès. Et s'il faut affronter la nouvelle équipe municipale, on y
est prêts ", ajoute Philippe.
La crainte de l'isolement
Autre signe des
tensions liées à l'arrivée du FN à la mairie : la grogne de certains habitants,
des opposants notamment, qui n'ont pas pu assister au premier conseil
municipal, il y a dix jours. Ils ont été
retenus en bas des marches de la mairie. Le maire explique que c'était
un cordon de CRS qui avait été installé pour éviter des débordements. "Et
qui dit CRS dit police nationale ", rappelle-t-il. "D es hommes
qui sont sous l'autorité du préfet, pas sous celle du maire " se défend
Steeve Briois.
L'élection d'un
maire FN dans cette ville, cela rebat aussi les cartes au sein du conseil
d'agglomération. Hénin-Beaumont appartient à l'agglomération
d'Hénin-Carvin. Le président socialiste
de cette agglomération, Jean-Pierre Corbisez voit donc entrer dans son conseil
13 élus FN. Il n'y en avait pas jusqu'à présent.
"Cela va
compliquer nos projets, ralentir notre travail ", s'inquiète déjà
Jean-Pierre Corbisez. "Nous avons déjà vu fonctionner les élus FN au
Conseil régional. Ils sont plus que procéduriers. Avant leur arrivée, certaines
délibérations prenaient une journée. Maintenant elles en demandent deux ou
trois. Ils sont à cheval sur le moindre alinéa du règlement, n'ont pas peur de
multiplier les recours au tribunal administratif pour des détails. Leur seul
but est de faire obstruction. Alors pour éviter que ce travail de sape ne
freine l'avancement des dossiers, nous avons décidé de recruter un juriste.
Nous demanderons aussi à des employés de l'agglomération de jouer le rôle
d'huissiers lors des séances. Et puis nous allons passer au vote électronique ",
explique Jean-Pierre Corbisez décidé à prendre les devant.
L'étiquette "FN" inquiète
Quinze jours après
l'élection, du côté des habitants, on s'inquiète assez peu de l'ambiance qui
pourrait régner lors des prochains conseils d'agglomération. Les craintes de la
population sont plutôt liées à l'isolement dont la commune pourrait souffrir au
sein du département, au sein de la région ou de la part des investisseurs
potentiels, du fait de l'étiquette "Front national".
C'est à cause
précisément de cette étiquette FN que la ville de Herne en Allemagne jumelée
depuis 60 ans avec Hénin-Beaumont réfléchit à suspendre son partenariat. Les
élus sociaux-démocrates de cette ville allemande rendront leur décision à la
fin du mois. "Le résultat d'un sabotage orchestré par l'ancienne
municipalité", commente amusé Steeve Briois.
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