Centrafrique : plongée au cœur du chaos
Une piste principale traverse la région de Kaga Bandoro. Au bord de cette piste, sur des kilomètres, on découvre des villages désertés. Écoles, maisons, bureaux de police, églises : tout a été saccagé. Pour trouver les villageois, il faut s'enfoncer dans la forêt très dense. C'est là que Clément, 49 ans a trouvé refuge. Il se cache depuis 8 mois avec sa famille. C'est un homme au visage très marqué. Lui et les siens sont paniqués par les allers et venues des bandes armées, notamment des Séléka : les ex-rebelles arrivés au pouvoir.
"Il y a des gens qui régulièrement sont tabassés, tués. Les femmes sont violées. Et on ne peut rien faire, car nous sommes sans défense face à la violence des armes à feux, face à ces bandits qui nous réveillent en pleine nuit dans la totale obscurité. Dès que j'entends un tir, je suis en panique. La peur ne me quitte jamais ", raconte** cet homme.
Très préoccupés pour ses enfants et petits-enfants, il lance un appel à la France et aux Nations Unies : "Il faut vraiment que la communauté internationale m'entende. Il y a urgence. Les souffrances sont immenses ici. Nous souhaitons la paix, et pour cela une armée extérieure ou même les casques bleus doivent venir. Ici, on ne voit jamais personne. Sauf les milices incontrôlables ", s'énerve Clément.
La malaria frappe des familles
Cachés dans la brousse cet homme et sa famille vivent comme des milliers d'autres dans des conditions sanitaires déplorables. La saison des pluies s'achève en ce moment. L'eau transperce l'abri que Clément et les siens ont improvisé avec des branchages. Ils n'ont pas de savon, pas de moustiquaire non plus. La malaria a frappé une partie de la famille ces derniers jours.
À bout de force, sa cousine Sylvia s'est, elle, aventurée hors de la forêt, mais seulement pour quelques minutes, parce qu'elle a aperçu sur la route la clinique mobile de la Croix-rouge internationale qui vient une fois par semaine. "Mon ventre bourdonne. Ma petite fille pleure tout le temps à cause de la fièvre. Elle a mal à la tête. Tout ça c'est à cause de l'insécurité. On craint de retourner là où se trouvent nos puits. Alors, on boit l'eau sale des rivières. Cela donne la diarrhée et d'autres maladies. Je me sens toute faible aussi parce que je dors mal. Mon mari et moi on se réveille tout le temps la nuit. On a tellement peur que les hommes armés reviennent ", témoigne la mère de famille.
La malnutrition sur une terre pourtant fertile
Sylvia n'est pas prioritaire dans la longue file d'attente de la clinique mobile. L'équipe s'occupe d'une adolescente qui a fait une fausse couche compliquée. Une autre femme vient de tomber dans le coma, sans doute atteinte de méningite. Et on ne parle pas des trois enfants morts en une semaine. Morts de malnutrition. Cette malnutrition est aussi due en grande partie à l'insécurité.
Car la Centrafrique est très pauvre, mais la terre fertile offre ici de la nourriture en quantité en temps normal : manioc, bananes, haricots, céréales etc. Mais voilà, les villageois ont peur en retournant dans leurs champs d'être de nouveau la cible de violences. Evelyne une jeune maman nous raconte que depuis des mois, elle se contente de racines, de fruits sauvages trouvés en brousse. Quelquefois un peu de gibier tombé dans les pièges.
Evelyne a marché 40 kilomètres jusqu'à l'hôpital de Kaga Bandoro, qui n'a plus d'hôpital que le nom, car lui aussi a été sérieusement pillé. Dans ses bras, Evelyne tient sa fille Noupsia. Cette petite dort sans cesse, ne mange plus. Elle a deux ans et pèse sept kilos. "Je n'ai plus rien. Je ne peux plus acheter d'arachide, ni de courge. De toute façon, comme vous la voyez là, ma petite fille vomit tout. On lui a donné des médicaments mais ça ne change rien. Ce qui m'inquiète c'est que les docteurs eux même ici à l'hôpital sont en rupture de stock de lait. Alors je prie pour qu'il y ait une nouvelle livraison. Une livraison peut-être de l'Unicef, à temps pour mon enfant " , confie la jeune mère.
Evelyne parle de docteurs mais en réalité, les médecins, qui ne perçoivent plus leurs salaires depuis le coup d'état, sont partis.
Des ONG bien peu nombreuses
Victimes aux aussi de saccages, ils sont rentrés à Bangui. C'est en fait l'un des rares infirmiers locaux volontaires, Peter Mermoz qui prend charge la fillette. "Dès que l'enfant est arrivée, j'ai compris. Les joues gonflées, le ventre gonflé, les pieds gonflés, les globes oculaires enfoncés. Ce sont les signes typiques du Kwashiorkor, la forme la plus connue de la malnutrition ", explique l'infirmier. Derrière lui par la fenêtre, on voit les ambulances qui servaient encore il y a peu. Toutes dépecées ou brûlées par des hommes se réclament de la Séléka, l'alliance qui a renversé le président en place, il y a 8 mois.
Cet infirmier pose des diagnostics, mais a des moyens d'action limités. "Nous manquons de matelas, de moustiquaires, de matériel, nous avons beaucoup trop peu de médicaments. Faute de lait, ces derniers jours, j'essaye de fabriquer des bouillies avec du maïs ", confie-t-il qui tente de masquer son impuissance pour que la dizaine de mamans installées dans la salle de pédiatrie ne perdent pas espoir.
Dans cette région de Kaga Bandoro, les ONG sont rares. Pour les humanitaires, il est compliqué de couvrir avec peu de moyens les besoins de ce pays de brousses, plus grand que la France, et très enclavé.
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