Avec la mort de "l'homme au trou", une nouvelle tribu isolée disparaît en Amazonie
Il était l'un des derniers indiens autochtones isolés d'Amazonie, un homme qui n'avait aucun contact avec le monde extérieur. Il s'est éteint il y a quelques jours.
Il a été retrouvé par hasard, le 24 août dans l'état brésilien du Rondônia lors d'une patrouille de routine des agents chargés de la protection des autochtones. Au coeur de cette forêt où il a toujours vécu : allongé dans un hamac à l'extérieur de ses huttes en paille, son corps en décomposition couvert de plumes de perroquet de couleurs vives, "comme s'il s'était préparé à la mort" dit Marcelo dos Santos, explorateur à la retraite qui l'avait suivi pour la Funai, la fondation nationale indigène du Brésil. Son décès, jugé naturel, remonte alors à plus d'un mois.
Known as the “Man of the Hole,” the last member of an Indigenous group was found dead this month in Brazil, marking the first recorded disappearance of an isolated tribe in the country. https://t.co/ep4jasih8m
— The New York Times (@nytimes) August 30, 2022
Repéré en 1996 près de la frontière entre le Brésil et la Bolivie, l'homme a résisté pendant 26 ans à toutes les tentatives de contact prolongé. De rares fois seulement, il a accepté les quelques graines et outils qui lui ont été laissés pour améliorer sa qualité de vie, mais il lui est arrivé à deux reprises de tirer des flèches en direction d’agents de la Funai qui s’approchaient trop près de lui.
"L'homme au trou"
En 2008, un anthropologue franco-brésilien, Vincent Carelli, saisit son visage entre les feuillages. On le voit dans son film "Corumbiara". Mais les dernières images remontent à 2018, tournées à la dérobée par des fonctionnaires du département des affaires indigènes du gouvernement. L'homme, de corpulence fine, est quasiment nu. Il coupe un tronc d'arbre avec une sorte de hache. Depuis personne ne l'a jamais vu.
'Man of the Hole': Last known member of uncontacted Amazon tribe dies https://t.co/7NtkeV12AV pic.twitter.com/p3PqeYitMZ
— New York Post (@nypost) August 30, 2022
Il était célèbre et pourtant... il n'avait pas de nom. On l'avait simplement appelé "Índio do Buraco", "l'indigène du trou", parce qu'il creusait systématiquement des fosses de trois mètres de profondeur, soit dans ses huttes pour se cacher ou s'abriter (la Funai avait recensé depuis 1996 53 maisons de paille différentes), soit dans la jungle pour capturer des animaux. Il est mort sans avoir jamais révélé à quelle ethnie il appartenait. Personne ne l'a jamais entendu prononcer le moindre mot.
Une tribu disparue
On sait malgré tout qu'il était le dernier survivant de sa tribu, décimée au fil des ans par la colonisation anarchique et l’exploitation forestière illégale du Rondônia. Dans les années 80, des fermiers qui cherchent des terres pour s'étendre leur distribuent de la mort-aux-rats en guise d'offrande, il n'y a qu'une poignée de survivants. Quinze ans plus tard, en 1995, d'autres individus attaquent le campement et massacrent ce qui reste de la tribu. "L'homme au trou" est le seul à en réchapper. Vivre dans l'isolement le plus complet loin des étrangers, fuir les hommes était sa meilleure chance de survie.
En 1998, pour le protéger, la Funai crée une immense réserve clôturée de 8 000 hectares connue sous le nom de "territoire indigène de Tanaru" - en vertu de la constitution brésilienne, les populations indigènes ont droit à leurs terres traditionnelles.
L'accès en est restreint, des agents patrouillent régulièrement... Mais plusieurs fois ses parcelles de terre cultivées et ses huttes sont détruites. En 2009, des fermiers endommagent un poste d'observation de la Funai et tirent des coups de feu. Les groupes de défense des droits des autochtones ont demandé que même après sa mort, la réserve de Tanaru bénéficie d'une protection permanente. Pour l'agence brésilienne de journalisme d'investigation Agência Publica, "l'homme au trou" était le “symbole de la résistance des peuples indigènes isolés” au Brésil.
Jair Bolsonaro contre la cause indigène
L'homme au trou n'est pas le dernier indien isolé d'Amazonie : il reste encore une trentaine de groupes au plus profond de la jungle, dont on ne sait presque rien de la langue ou de la culture.
Mais le Brésil compte au total environ 240 tribus, de plus en plus menacées depuis que Jair Bolsonaro est au pouvoir par les incursions de mineurs, de bûcherons ou d'agriculteurs. Le chef de l'État – qui remet son mandat en jeu en octobre – ne cache pas son mépris pour les indiens. Il a même déclaré que son pays avait "commis une erreur" en ne les décimant pas, comme l'avaient fait les États-Unis. Jair Bolsonaro a à la fois assoupli les réglementations pour développer l'exploitation forestière, l'élevage et l'exploitation minière en Amazonie et réduit les protections des groupes indigènes et des terres protégées. Il a également réduit les fonds et le personnel fédéraux, affaiblissant les agences chargées de faire respecter les lois indigènes et environnementales.
Les risques auxquels sont confrontés les peuples autochtones du Brésil ont été mis en évidence récemment lorsque la militante Txai Suruí a reçu des menaces de mort après avoir prononcé un discours passionné lors de la cérémonie d'ouverture du sommet mondial sur le climat COP26 à Glasgow.
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