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"Tu m'as tout appris, sauf à me passer de toi" : Nathalie Rykiel rend hommage à sa mère Sonia

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, l’auteure Nathalie Rykiel.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Nathalie Rykiel à Paris (France) le 25 janvier 2018 (FRÉDÉRIC DUGIT / MAXPPP)

Nathalie Rykiel est l'ancienne présidente de la société Sonia Rykiel, fondée par son père Sam Rykiel et sa mère, Sonia. Elle a vingt ans quand elle y entre, tout d'abord en tant que mannequin, puis elle devient la metteuse en scène des défilés de la maison Rykiel avant d'en prendre la tête. Désormais auteure, après avoir écrit Ecoute-moi bien (2017) ou encore Sam Rykiel (2020), elle publie Talisman à l'usage des mères et des filles aux éditions Flammarion.

franceinfo : On découvre à l'intérieur de Talisman à l'usage des mères et des filles 50 dessins inédits de votre mère et en face, vos mots en guise de réponses. C'est un joli récit de cette relation unique que vous avez partagée. En fait, c'est une déclaration d'amour à votre mère.

Nathalie Rykiel : Bien sûr ! C'est une déclaration d'amour à ma mère. C'est aussi un jeu avec ma mère qui était tout le temps en train de me dire : "T'as vu je dessine bien, t'as vu mes dessins" et moi, je lui disais, oui, c'est sympa. Et puis, ce sont des dessins que personne n'a jamais vus parce qu'en fait, c'étaient des petits mots qu'elle me laissait, des petites choses très simples. Mais les réponses ne sont pas du tout terre-à-terre, c'est plutôt en décalage, pour essayer de montrer ce qu'elle m'a transmis, ce que je suis devenue et à quel point la transmission est, même avec une mère aussi spectaculaire que la mienne, quelque chose d'universel.

Il y a un mot qui ressort, c'est le mot liberté. Vous avez mis du temps à la trouver ?

Oui, j'ai mis du temps à la trouver parce qu'avec une mère aussi omniprésente, aussi envahissante, aussi dévorante qui voulait absolument me garder auprès d'elle, ça a été compliqué de devenir moi et de ne pas devenir une "petite Sonia" ou une "sous-Sonia". D'ailleurs, beaucoup de mes amis, mes copines me disaient "Va-t'en, va faire ta vie ailleurs. Tu ne vas jamais pouvoir exister, elle ne te laissera pas exister."

Mon choix a été de rester parce que j’adorais ma mère, parce que la vie avec elle était vibrante et excitante, et de me construire à l'intérieur de ça, de devenir moi à côté d'elle, sans la blesser.

Nathalie Rykiel

à franceinfo

C'est vrai que ces petits dessins faisaient partie des petits mots qu'elle vous laissait, elle pensait à vous tout le temps. Elle les semait un peu comme des cailloux, mais l'idée était vraiment de vous garder.

Oui, elle a tout fait pour me garder. Elle était terrorisée lors de mes différents mariages, à l'idée que je parte. Ma mère usait d'énormément de stratagèmes pour non seulement me garder auprès d'elle, mais pour séduire tous les miens. Et cette entreprise de séduction marchait parce qu'elle était incroyablement séductrice. Ça ne m'a pas du tout empêchée de me démarquer de ça et de voir ça.

Je voudrais qu'on aborde votre amour de l'écriture. Vous dites que c'est votre mère qui vous a donnée envie d'écrire et de lire aussi.

Ce n'est pas pour ça que je suis devenue auteure et écrivain mais je me souviens d'une anecdote où elle avait consulté une voyante et était revenue à la maison en me disant : "Tu sais ? Tu seras écrivain plus tard".

L'amour des mots m'est probablement venu de ma mère.

Nathalie Rykiel

à franceinfo

Que vous apporte l'écriture ?

Tout et rien. Je ne crois pas à l'écriture comme thérapie. Ça peut l'être, par exemple, avec le livre que j'ai écrit à la suite de sa mort, Écoute-moi bien. Il m'a certainement permis de rester plus longtemps avec elle. Ce n'est pas une thérapie, c'est un bonheur et une immense difficulté tout en étant une immense jouissance, l'écriture. C'est pour ne pas être seule et ça marche pour celui qui écrit, mais aussi pour celui qui se retrouve dans vos mots.

Vous dites dans cet ouvrage, en face d'un dessin de votre maman : "Se garder un endroit à soi pour l'enfant en soi". Quel enfant étiez-vous ?

Il paraît que j'étais une petite fille modèle, très sage, très mignonne. Ensuite, quand mon frère est né, je suis devenue une grande sœur. Mon frère était prématuré, il y a eu un accident de couveuse et il est devenu aveugle. J'avais 5 ans.

Il y a eu effectivement cet accident, la naissance de votre frère qui a fait basculer le cours de votre vie. Votre papa est décédé très tôt. Il s'est énormément occupé de votre frère. N'avez-vous pas grandi trop vite ?

Ça m'a pris un temps fou de comprendre, de ne pas me laisser bouffer par cette mère dévorante, de mettre mes traces et de comprendre qui j'étais en travaillant avec elle.

Nathalie Rykiel

à franceinfo

Rester avec elle, c'était évidemment dix fois plus difficile. On peut considérer que c'est une chance et un avantage, mais c'est aussi extrêmement difficile de s'imposer dans une maison où on n'est que "la fille de". Je ne pense pas que j'ai grandi trop vite. Je pense que j'ai mis en tout cas très longtemps à devenir qui je suis. Mais je n'ai absolument aucun regret.

Sur l'un des dessins qu'elle vous a laissé était indiqué : "Laisse-moi passer". Et vous lui répondez : "Laisse-moi la place". Avez-vous trouvé votre place aujourd'hui ?

Complètement. J'ai eu la chance d'avoir ce sentiment d'être absolument droite dans mes bottes. Je ne dis pas que tout est facile, mais je me sens complètement en accord avec moi-même et à ma juste place.

C'est rigolo parce qu'elle a commencé en créant des pull-overs, la reine du tricot et vous, vous essayez de détricoter votre vie pour mieux la comprendre, il y a une histoire de maillons...

J'adore ce mot, "le maillon". Qu'est-ce qu'une famille ? Qu'est-ce qu'une mère ? Qu'est-ce qu'une fille ? Que sont ces liens si mystérieux faits d'amour et de complexité ? En fait, c'est le maillon. Et la famille, c'est un maillon. 

Pour terminer, vous dites : "Tu m'as tout appris, sauf à me passer de toi". Comment fait-on pour continuer à avancer ?

Comme j'ai fait, je la porte en moi.

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