Théâtre : Guillaume Gallienne "nous oblige" dans "Le malade imaginaire" à la Comédie-Française
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le comédien, réalisateur et scénariste, Guillaume Gallienne. Il joue dans "Le malade imaginaire" à la Comédie-Française.
Guillaume Gallienne est acteur, scénariste, réalisateur, sociétaire de la Comédie-Française. Touche à tout, un passionné des mots, du verbe haut et fort pour défendre la langue, il a déjà reçu deux Molière, quatre Césars grâce à son interprétation de Guillaume, dans son propre rôle, en 2014, dans le film : Les garçons et Guillaume, à table !. Il est aussi indissociable de la radio, France Inter, en tant que narrateur de l'émission, Ça ne peut pas faire de mal, diffusée entre 2009 et 2020. Il est actuellement sur la scène de la Comédie-Française dans la pièce : Le malade imaginaire de Molière.
franceinfo : Le malade imaginaire, c'est deux heures sans entracte. Ça fait du bien de revenir à l'essentiel, à ceux qui ont écrit les lettres de noblesse du théâtre, de ce qui vous fait vibrer ?
Guillaume Gallienne : Je n'ai jamais quitté le théâtre. Ça fait du bien de jouer ce rôle, de retrouver les potes parce que ça fait quatre mois que je suis en tournée avec un monologue de Dario Fo. Je n'aime pas tellement jouer seul. Ça fait vingt ans que la Comédie-Française reprend régulièrement cette mise en scène de Claude Stratz qui, malheureusement, nous a quittés. Cette mise en scène est tellement raffinée, délicate et belle qu'on la garde.
Cette pièce est une ode à la vie. Elle met en scène un malade d'une vitalité qui est surprenante, alors que Molière succombera presque sur scène, le soir de la quatrième représentation, le 17 février 1673, en dissimulant au public, à travers des grimaces qui ont fait rire beaucoup de gens, la douleur de ses convulsions. Il y a un grand écart, mais finalement, j'ai l'impression que ça vous parle.
Absolument. C'est un regard sur l'hypocondrie, au niveau psychiatrique, mais avec une connaissance dingue. Je connais bien le dossier pour avoir perdu quelqu'un de très proche de ça et j'ai passé toutes les répétitions à dire : mais c'est hallucinant, on a l'impression que Molière connaissait par cœur le sujet puisque c'est exactement l'aspect régressif et plein de choses liées à l'hypocondrie.
"Le malade imaginaire" est une pièce testamentaire crépusculaire.
Guillaume Gallienneà franceinfo
C'est sa dernière. Il se sait malade du poumon, donc il fait dire au seul faux médecin, le bon diagnostic, ce sont tous des ignorants. "C'est du poumon dont vous êtes malade", dit Toinette, déguisée en médecin. Elle a raison, il le savait. Et il est mort en jouant la quatrième. C'est assez impressionnant.
Ce côté de mourir sur scène est une vraie caisse de résonance pour vous parce que vous avez décidé de monter sur scène à la suite du décès de votre cousine, d'ailleurs, la dernière à France Inter, vous lui avez consacré disparue il y a trente ans.
Je suis fasciné par la mort. Oui, c'est sûr. C'est peut-être pour ça que j'en fais autant, que ce soit en travail, en exubérance ou en enthousiasme. C'est ma réaction de dire : la vie, c'est génial ! Mais parce que j'ai perdu mon cousin, j'avais cinq ans, ma cousine, j'en avais 18, puis ma sœur, mon frère, donc c'est vrai que je sais que ça peut s'arrêter d'un moment à l'autre, donc c'est peut-être ça...
On a l'impression, justement, qu'avec ce truc, vous pourriez mourir sur scène, que vous allez aller jusqu'au bout quoiqu'il arrive. Limite que dans chaque rôle que vous interprétez, votre vie en dépend.
Je ne le dis pas comme ça, mais je crois que je l'analyse pas et il vaut mieux. Il y a des gens qui m'inspirent, d'autres qui m'obligent. J'y travaille.
Vous dites que vous travaillez le doute.
Tout le temps, oui. C'est Alicia Gallienne, ma cousine, qui disait ça : "Le courage, c'est aussi renouveler, le doute", oui, c'est vrai et de plus en plus.
Avant, j'étais certain de beaucoup de choses, notamment de mes complexes, et aujourd'hui, je doute de beaucoup de choses et heureusement, ça me permet de renouveler le présent.
Guillaume Gallienneà franceinfo
Vos complexes, vous les aimiez surtout parce que vous considériez que vous aviez une faiblesse physique. Ça vous a travaillé pendant des années. On vous sent de plus en plus fort.
Ça continue. Mon fils m'a donné ça, lui, il est super fort. Vous savez, j'ai grandi avec un père qui a passé toute mon enfance à me dire : "Ils sont beaux, tes frères", ça calme.
Qu'est-ce qui fait que vous ayez eu envie de devenir comédien ? Qu'est-ce qui fait que vous vous soyez dit au moment du décès de votre cousine : "Si je dois mourir demain, je veux faire du théâtre".
Au départ, c'était surtout pour ne pas être moi puisque franchement, j'avais une vie de merde. Je me suis rendu compte qu'au contraire, ça m'aidait à être moi, mais j'ai mis un peu de temps.
Il y a toujours une espèce de musicalité dans tout ce que vous avez pu faire.
Oui, je suis très attentif au son, au son de l'âme, au son de l'autre, au mouvement, qu'il soit musical ou physique. C'est ce qui, parfois, rend mon jeu un peu trop classique et un peu trop prévisible. Le doute, par exemple, c'est de casser cette musique, d'apprendre une musique nouvelle, un mouvement nouveau, peut-être parfois moins harmonieux, peut-être un peu chaotique, un peu brisé. C'est ce que la vie m'apprend aussi, à aimer les brisures, à aimer des choses peut-être moins attendues, moins élégantes, mais peut-être plus belles.
Est-ce que les mots font grandir ?
Énormément. Tout à l'heure, j'ai dit : ils nous obligent, ils m'obligent. Ça me vient du livre : Le droit d'emmerder Dieu de Richard Malka. A la fin, il s'adresse aux parents de Charb en disant : "Voilà, votre fils était de ces gens magiques qui vous donnent un sentiment d'éternité. Il nous inspire, il nous oblige". J'ai lu le mot pour la première fois de ma vie à cent pour cent. J'ai compris exactement ce que j'aimais. Quelqu'un qui vous oblige, c'est de l'humilité, mais la tête haute, c'est vaillant, musclé, régénéré. Ça me bouleverse, quelqu'un qui puisse dire ça, qu'on puisse dire ça d'un autre : "Vous m'obligez", c'est tellement beau.
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